Partir en Dordogne et atterrir en Argentine

Dictionnaire personnel : Carrnivore (n. masc) : se dit de celui qui se damnerait pour un plat d’origine animale. Le carnivore n’aime pas forcément la viande saignante. Certains préfèrent un rognon moelleux, une épaule d’agneau confite, un sanglier en daube. Ils ne se pâment pas devant un « simple » morceau de bœuf. Ce que j’ai pourtant fait, devant la cuisine périgourdo-argentine d’Alain Gardillou.

Le chef du Moulin du Roc veut faire de son restaurant « la vitrine parfaite de l’art de vivre en Périgord ». La saucisse de cochon « cul-noir » est confectionnée par « l’artisan à qui on achète la poitrine de porc. Il est à 7 km ». Le foie gras vient de la toute proche maison Espinet. La tapenade, où l’olive l’anchois s’expriment à égalité, est faite maison.

saucisse  foie-gras  tapenade

Le menu déjeuner met les produits sur le devant de la scène. Le chef s’efface modestement – il a d’ailleurs inscrit le nom de producteurs sur sa carte.

Notre entrée : escalivade de légumes, fromage frais et sardine grillée.

Notre entrée : escalivade de légumes, fromage frais et sardine grillée.

Certes, la sardine servie en entrée ne vient pas du Périgord. Mais Alain Gardillou est capable de citer le nom du Breton qui l’a pêché – pour un peu il ajouterait son âge et le nombre de ses enfants. Juste grillée, elle manque peut-être d’une crème, un filet de citron, quelque chose qui lui ôterait sa petite aridité. Mais le merveilleux de ce plat est ailleurs (caché par la salade sur la photo): un fromage frais comme Paris n’en connaît pas. Deux cuillerées lactées mais fortes, qui ont un goût de vaches heureuses.

Cet amoureux de son terroir est aussi un fou de l’Argentine. Cinq mois par an, il vit dans ce pays. Il en a ramené l’asado, l’art de la viande grillée. Il l’a transposé au canard du Périgord, au veau limousin, au cochon « cul-noir » (en poitrine saumurée deux jours et confite dans sa graisse) et au bœuf de Coutancie.

Je vais m’arrêter là. (Donc de suite une parenthèse sur le dessert, rafraîchissant mono-produit autour de la fraise, avec une pointe de menthe, association classique. Et mention spéciale aux mignardises, et donc au pâtissier Pierre Gobert).

Revenons à nos bœufs

viandes

L’onglet était parfaitement cuit, et conquérant, dans son rôle de viande rouge. À ses côtés, trône un morceau un peu bizarre, mêlant viande et graisse. Une épiphanie : la chair est rouge, mais bien dense en bouche (pas évanescente, ce que je reproche à d’autres morceaux). Un cuisinier m’a renseigné : « le vacio est la partie qui recouvre le train de côtes, qu’on ne valorise pas en France. La viande n’est pas parée : elle garde sa peau d’une part, son gras de l’autre, ce qui la nourrit durant sa maturation puis sa cuisson. » De la pure poésie.

(Repas offert lors d’un voyage de presse).

Le Moulin du Roc
24530 Champagnac-de-Bélair
05 53 02 86 00
Prix disponibles en ligne

P.S : En bonus

L'asado est servi avec des petits légumes, une sauce chimichuri 'huile aromatisée) et surtout des pommes de terre. Celles-ci sont cuites à la graisse de boeuf, parfois les cuisiniers utilisent de la graisse de canard...

L’asado est servi avec des petits légumes, une sauce chimichuri (huile aromatisée) et surtout des pommes de terre. Celles-ci sont cuites à la graisse de bœuf, parfois les cuisiniers utilisent de la graisse de canard…

Baguette, la morte-vivante

Les Français n’aiment pas la baguette. Nous adorons nos fromages, nos vins, notre foie gras. Nos pains, aussi. Mais personne ne fait les louanges de la baguette. Tentative d’explication.

Personne ne dit : « Ah, je me ferais bien une baguette ». Aucune femme enceinte n’a d’envie de baguette. Ce pain est pourtant censé être un des emblèmes du pays. Certes, chaque année la « meilleure baguette de Paris » est élue. Alors même que certains boulangers cessent d’en confectionner. De rares militants – guerriers ou huluberlus selon le point de vue – la défendent. Les autres … s’en moquent. Ou disent tout le mal qu’ils en pensent.

Elle peut être belle, pourtant (ici une Rétrodor, baguette de tradition).

Elle peut être belle, pourtant (ici une Rétrodor, baguette de tradition).

La première raison est son goût. Des milliers (millions?) de baguettes sont confectionnées et mangés (ou pas, le gâchis est immense) chaque jour. La majorité est – désolée – dégueulasse. Statistiquement, ce pain est plus souvent mauvais. Beaucoup de Français le considèrent donc – même inconsciemment – comme mauvais tout court.

Triste quotidien

La baguette est mal levée, mal pétrie, mal cuite. Cela coûte moins cher. Et permet à certaines grandes enseignes ou petits boutiques d’afficher des prix bas, très bas, trop bas. Or la baguette est un produit d’appel, un de ceux qui font entrer – donc dépenser – les clients.

De gauche à droite : pétrissage amélioré (quelques additifs, 12min en 2ème vitesse), intensifié (beaucoup d'additifs dont farine de fèves, 17min en 2ème vitesse) et traditionnel (pas d'additifs, 8min en 1ère vitesse).

De gauche à droite : pétrissage amélioré (quelques additifs, 12min en 2ème vitesse), intensifié (beaucoup d’additifs dont farine de fèves, 17min en 2ème vitesse) et traditionnel (pas d’additifs, 8min en 1ère vitesse).

Le grand problème de la baguette vient de sa grande force : elle est le pain quotidien.

« La banalisation a été fatale a la baguette », explique Steven Kaplan. Cet universitaire américain spécialiste du pain dénonce la volonté de tous, dans les années 70 de de « prouver que la baguette est un produit ordinaire, sans importance particulière ». La raison est financière : le pain devenu quotidien est moins taxé que le pain comme plaisir.

Le quotidien a une seconde conséquence. Elle est plus sournoise. Je crois que nous ne pouvons pas aimer ce que nous mangeons sans cesse. Elle participe aux déjeuners dominicaux les plus joyeux et aux dîners plombés par les disputes. Elle accompagne les repas en amoureux et les durs lundis matins.

La baguette est de tous les repas. Mais elle n’a aucune particularité, et n’a su s’attacher aucun souvenir mémorable. Plus nous la mangeons, plus nous la sacrifions.

*Message subliminal à la mairie de Paris*

Borough Market est une société à but non lucratif. Ce qui empêche quiconque de faire main basse sur ces voûtes victoriennes. Tant mieux. Tout ce que l’Angleterre a de culinairement réjouissant y est. Une comfort food de classiques centenaires, l’appétit des cuisines d’ailleurs et – surtout – la réinvention de la production locale.

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An 1014. Toutes les victuailles destinées aux Londoniens arrivent par la Tamise. Un marché est fondé au cœur de la ville, près des débarcadères. Mille ans après, Borough Market continue à nourrir la ville. Désormais les aliments viennent de toute l’Europe. Paella espagnole et comté français voisinent avec des spécialités croates.
Et à côté, sans gêne, les Anglais vantent leur nourriture. Avec raison.

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Côté classique, les promeneurs peuvent tâter les créations dodues de Mrs King. J’imagine Elizabeth King, comme une pure anglicane – un peu coincée – du 19ème siècle. Elle fait tout dans les règles. Notamment ses tourtes, bien dorée, bien juteuses. La farce (pur porc) est aussi dense que simple, et riche en goûts. Les anglais conservaient ainsi leur viande, en l’entourant d’ une croûte – au saindoux – un peu feuilletée, très craquante/croustillante.

Fromages sauvages

D’autres se sont lancés plus récemment, comme l’entreprise Cannon & Cannon (des frères Joe et Sean) fondée en 2010. Elle représente une petite quinzaine de charcutiers de toute la Grande-Bretagne. Des artisans qui assurent les basiques et créent avec bonheur. La non-adepte de charcutaille que je suis serait bien repartie avec un chorizo écossais, au cerf.

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Et celui qui reste pour moi la figure emblématique de ce marché, le fabricant de « fromages sauvages », Philip Walton.

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Pourtant il n’est présent sur le marché que depuis six mois. Philip se présente comme urban cheese maker », et pour cause, son atelier se trouve à Tottenham, à 15 km du marché. Reconverti sur le tard dans ce métier (« Parce que j’adore le fromage, on peut tout faire avec juste du lait ! »), il ne propose ni cheddar, ni stilton, ni rien de connu. Ces fromages ont des noms uniques, qu’il a le plaisir de choisir lui-même en tant qu’inventeur (comme le Howald, son « bleu pas bleu »). Il les propose au tarif unique de£ 3/(3,8 €) les 100 g, quel que soit la complexité de leur fabrication.

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Ses produits n’ont pas la finesse, ou la profondeur, de fabricants aguerris et de recettes ancestrales. La gouaille du bonhomme compense.

Borough market
8 Southwark St, London SE1 1TL, Royaume-Uni
Ouvert pour le déjeuner seulement de 10 à 17 h du lundi au mercredi,
Ouverture complète les jeudis et vendredis de 10 h à 17 h, le vendredi de 10 h à 18 h et le samedi de 8 h à 17 h.

Sauce de tomates

Ingrédient phare de la cuisine « italienne », indispensable des placards, sauve-repas par excellence, est la sauce tomate. Elle est parée de toutes les vertus. Et d’un (gros) défaut : elle ne goûte pas la tomate. A se demander comment les Italiens survivent en hiver. Début de réponse ici.

En hiver est la sauce-tomate. Elle est rouge. Chacun sait quel goût elle doit avoir. Et peut l’imaginer. Seulement l’imaginer : en vrai, elle est acide, sur-salée, blindée d’aromates italianisants (de l’origan, mais séché !), d’huile sans caractère …
Puis vient l’été. Et les tomates grandissent, charnues à en éclater. Elles sont si mûres que leur peau, pincée entre deux doigts, glisse sur leur chair.
Je la cuis dans un fond d’huile d’olive, à peine saupoudrée de sel et de poivre. J’enrobe des pâtes magnifiques de cette sauce de tomates.
Et deux mois plus tard, je retourne dans la saison de la sauce-tomate.

Fruits en pots

Je ne mange jamais de pâtes entomatées en hiver (vive la crème et le fromage !).
Mais récemment un Italien m’a montré ses pots de sauce. « Le but, c’était de faire une sauce tomate que même un Italien pourrait acheter ! », proclamait-il.

(Placez ici un haussement de sourcil dubitatif.)

Patrizio Miceli, le fondateur (posant ici avec sa sœur Camille) est spécialisé dans la communication pour marques de luxe ... D'où des campagnes de pub aux petits tomates.

Patrizio Miceli (ici avec sa sœur Camille), fondateur d’Al dente la salsa,  s’est spécialisé dans la communication pour marques de luxe.  (Image extraite d’une de leur campagne de pub.)

Il m’a présenté la Checca – un nom d’héroïne d’opéra. La marque, Al dente la salsa, est sous-titrée « Très bonne sauce tomate ».

(Le second sourcil rejoint le premier.)

Juste une cuillerée, froide, sur un bout de pain. Une cuillerée de mes tomates d’été. Cette sauce avait un goût de fruit. Se développent, distinctement, les goûts d’une huile de bonnes olives (ou bonne huile d’olive ?), de l’ail, du basilic, du poivre.
Voici la composition : tomates fraîches de San Marzano (90%), huile extra vierge ( 5 %), ail (1%), basilic, poivre blanc, sel.
Punto e basta.

Et en novembre naîtra le pot "Magnum" de 1 kg  ...

Et en novembre naîtra le pot « Magnum » de 1 kg …

La salsa Al tonno me « parle » moins. La faute aux tomates jaunes, que je n’ai jamais appréciées.
Puis vient l’Amatriciana (la grande sœur de Checca). Le goût de la pancetta fumée est une gourmandise carnassière. Elle attaque en début de bouche, puis reviennent les tomates, et un coup de piment.

aldente-salsa-amatricianaJe me traine depuis une envie de bucatini, en quantité totalement déraisonnable, poudrées de pecorino …

Al dente la salsa
La Checca: 12 € le pot de 340 g, 29 € pour 1 kg.
L’Amatriciana : 9 € le pot de 220 g.Vente en ligne ou en de rares épiceries fines (Le bon Marché).

Un tarama (entendre : un vrai tarama)

Pauvre tarama. Il est là, dans son petit pot de plastique transparent, côtoyant houmous graisseux et tzatziki flotteux dans les linéaires du supermarché. Le néon ne lui sied pas au teint, dont le rose – de Barbie à fuchsia – doit tout aux colorants.
Et rien ne lui sied au goût : il n’en a pas.

J’ai longtemps cru que le tarama était une invention d’industriels. Un exemple d’ingéniosité, recyclage de rebuts en profits.
Perdu. Le tarama est une spécialité grecque (ou turque), à base d’œufs de poisson, selon M. Wikipédia. Prenons la peine de nous informer sur la présence des dits œufs dans la dite spécialité.

L’Internaute propose un comparatif, dont voici un court mais instructif extrait :

 A 1 € les 100 g, le tarama Auchan est de loin le moins onéreux. Sa cinquième place peut donc éventuellement s’expliquer par son prix. C’est néanmoins insuffisant pour les testeurs, qui ont jugé qu’il avait un goût trop « anonyme ».

A l’opposé se trouve le tarama Labeyrie. Cher (1,99 € les 100 g), ce tarama, pourtant riche en œufs de cabillaud (30%) n’a pas convaincu les testeurs qui l’ont placé en avant-dernière position avec un petit 10,8/20.

La partie soulignée m’émeut un peu.

Savoir choisir ses priorités

Le salut du tarama est venu² des petites-épiceries-grecques et de la maison Barthouil.

La très belle première page du dossier de presse.

La très belle première page du dossier de presse.

Ces producteurs landais sont des maîtres es foie gras, saumon fumé et tarama.
Un tarama contenant 70% d’œufs de cabillaud.
70%.
De première catégorie.
ils sont salés, puis fumés à froid au bois d’aulnes (comme le saumon Barthouil). À la fin, ils sont lentement mélangés à de la mie de pain et de l’huile de colza – moins traditionnelle que l’huile d’olive, mais neutre de goût.
(Précision tout de même : le tarama nature contient 70% d’œufs, les autres versions sont moins riches).

Tarama Nature Tarama©J-Barthouil

Il présente de très légères aspérités, à peine croquantes. Elles rappellent le plaisir joueur de croquer dans des œufs qui éclatent. Et le goût : fumé, salé et concentré. Une pointe de couteau – voir d’épingles – est plus savoureuse que tous les pots tristement évoqués plus haut.

Oui, il coûte 41 € le kg.
Non, il n’est pas cher.


A commander sur http://www.barthouil.fr, à acheter dans de (très) bonnes épiceries, dans la boutique Barthouil (rue Charlot, Paris 3è) ou sur place, à Peyrehorade.

Saké – enfin

Au sous-sol de la Grande Epicerie, le vin se fait – jusqu’au 18 octobre – voler la vedette. J’ai souri de bonheur en voyant les petites bouteilles. Depuis des mois mes dents, ma langue, mes gencives et ma gorge, n’avaient pas été touché par le saké.

Une Japonaise – donc d’âge indéfinissable – verse avec grâce du sencha dans des gobelets de plastique. Un vieil homme saisit des lamelles de bœuf de Kobe du bout des baguettes. Des ours et des chats (trop) kawaï se baladent sur des sachets de crackers et de nouilles. Les responsables de la Grande Épicerie ont nipponisé le magasin autant qu’ils pouvaient – en restant dans leur ligne commerciale d’élégance bourgeoise.

Soyons juste : tout cela, en bouche, est bon.
Le saké, sélectionné par le Workshop Isse, est bon.

Des bouteilles que j’ai goûté, toutes ne correspondent pas à mon attrait pour les saké « comme de l’eau ». Mais chacun, à condition de trouver le bon public, touchera au but.

(Petit aparté : mes comptes-rendus de dégustation vont se heurter à une contradiction majeure – pour mon éthique personnelle. De un : personne ne peut parler de saké correctement en utilisant le lexique dédié au vin. De deux : je ne sais pas faire autrement.)

Dégustation

  • Le saké de Dewazakura Shuzo, de la préfecture de Yamagata. Un Junmai Daiginjo (conçu avec un riz poli à plus de 50%, sans ajout d’alcool) très facile.
    Il plaira surement aux Français (bien choisi pour le lieu donc), car il est très fruité – pour un saké – et rond. Cet arôme proviendrait d’un riz particulier : « Aiyama », peu cultivé et peu utilisé pour le saké.

62 € / 72 cl – pour un jeune couple qui a cuisiné un repas japonais juste-pour-deux, ou des étudiants qui s’offrent une soirée-plaisir dans cet automne indien;

Saké dewazakura aiyama

  • Le saké « Kinoene Kyuko » de Iinuma Honke, préfecture de Chiba. Ce Junmai Ginjo (riz poli à 40 %, sans ajout d’alcool, fermentation longue à basse température) a une particularité notable : il a 17 ans.
    Sa robe dorée m’a immédiatement évoqué l’umeshu. Son nez, puis son goût, m’ont perdu (moi qui me suis découvert un attrait pour les saké fades). Si cet alcool était occidental, il serait au croisement d’un liquoreux, un Sauternes par exemple, et de quelque chose d’un peu plus fort et à peine râpeux – comme un cognac. Comme il est absolument japonais, il n’est rien de tout cela. Mais cela vous donne une (vague idée).
    Très sucré, pour un saké, très étrange. Pour tout dire, la plaquette que j’ai sous les yeux indique « des accords sont également intéressants avec le chocolat et les fromages ». Tout est dit.

49,20 € / 30 cl – Pour les fumeurs de cigares ou les grands lecteurs des soirées devenues nuits noires.

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  • Le saké « Dakuryu Nama » de Tatenokawa Shuzo, préfecture de Yamagata.
    (Mon coup de cœur, au sens propre. J’ai senti la petite chose dans la poitrine, celle qui sursaute lorsque l’on découvre une bonne chose)
    Un autre Junmai Daiginjo, et mon premier Namazake « saké « cru »; non pasteurisé, et Nigorizake; non filtré. Il est d’un blanc laiteux, et un peu trouble – je trouve les alcools troubles follement élégants.
    La première gorgée est pétillante, juste sur le bout de la langue – le reste de gaz carbonique s’échappe.
    L’odeur et le goût ont ce côté un peu animal de certains vins natures. Mais un animal parfaitement dompté, comme l’estampe épurée d’un tigre. Sauvage mais cultivé, de cette culture étrange, de ce pays étrange à l’autre bout du monde.

49,20 € / 72 cl – Pour les filles face B, et celles qui veulent l’être.

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Le goût du mezcal

L’alcool est un grand dénominateur commun entre les hommes. Les uns font du vin, les autres de la bière, le l’absinthe, du whisky ou du saké. Leur inventivité n’a pas de limite. Et ceux qui font le mezcal se sacrifient, littéralement, pour quelques bouteilles.

Mon premier verre de mezcal remonte à un an, lors du Whisky live 2013, le salon des spiritueux. Au sous-sol, juste à l’entrée, deux stands se faisaient face. Au premier, une charmante jeune fille parlait de la tequila. Elle en expliquait parfaitement la fabrication. Elle décrivait les différents arômes, les goûts de chacune des bouteilles alignées devant elle. Sincèrement, j’ai apprécié ces quelques gorgées, même si j’ai du mal à comprendre les alcools forts.

En face, les bouteilles vertes, presque fluorescentes, les couleurs vives de leurs étiquettes, faisaient presque amateur. L’homme, derrière, parlait de mezcal en moulinant des mains. Après la brûlure de l’eau-de-vie, le goût se déploie, un peu gras en bouche, et étrangement fumé. Le mezcal est fabriqué avec des agaves, comme la tequila, mais les cœurs de ces cactus sont cuits à l’étouffé, dans un immense four enterré.

Les bouteilles de la marque Del Maguey, mon premier mezcal.

Les bouteilles de la marque Del Maguey, mon premier mezcal.

Son discours du vendeur différait du précédent. Chaque bouteille de sa marque, Del Maguey, était pour lui une terre, et des hommes. Un terroir, donc. J’aimais ses paroles, et j’ai aimé cet alcool, et cette histoire d’artisans qu’il contait si bien.1

Dans la douleur

Et j’ai lu le reportage sur ces « artisans » qu’a publié la revue BEEF!®. Partout dans le monde, ceux qui font de l’alcool travaillent dur, vinifient, distillent, fermentent. Mais les Mexicains qui font le mezcal souffrent, comme aucun de nos vignerons ne le supporterait. Donc un jour des hommes de ce pays, ont créé une boisson qui résulte de la douleur. Quel étrange processus a pu les y amener ?

Le "four" à agave; superbe photo de Frank Bauer pour le magazine Beef.

Le « four » à agave; superbe photo de Frank Bauer pour le magazine Beef.

Voilà ce qu’est la fumée : le feu dompté jusqu’à l’extrême et emprisonné dans des flacons. Mais dans ce couple, les hommes et la cendre, chacun est esclave de l’autre. Enchainé à son four, celui qui fait le mezcal est prisonnier de son corps.

Je ne vais pas vous dire qu’avoir mal fait faire de bonnes choses. Je ne vais pas vous dire que j’aime ce qui découle des blessures des hommes.
Mais force est de constater que le mezcal est un de ces alcools que je bois avec un plaisir fasciné. Comme quand je lis un livre étrange, tard, un soir de fatigue. J’ai toujours aimé qu’on me raconte des histoires.

1 (Excellente introduction au mezcal – et j’en suis encore là – : VIDA, de la marque Del Maguey)
2 (Dans le deuxième numéro de ce que je considère comme un des meilleurs magazines culinaires français. Et non, je ne suis pas sponsorisée, juste lectrice.)

Du plaisir de l’excés

« J’adore les glaces : crèmes glacées saturées de lait, de gras, de parfums artificiels, de morceaux de fruits, de grains de café, de rhum, gelati italiens à la solidité de velours et aux escaliers de vanille, de fraise ou de chocolat, coupes glacées croulant sous la chantilly, la pêche, les amandes et les coulis de toutes sortes, simples bâtonnets au nappage craquant, fin et tenace à la fois, qu’on déguste dans la rue, entre deux rendez-vous, ou le soir, en été, devant la télévision, quand il est clair désormais que c’est seulement ainsi que l’on aura un peu moins chaud, un peu moins soif … » (Extrait de Gourmandise par Muriel Barbery)

La glace de quand-j’étais-petite n’était pas bonne. Les deux boules au chocolat, sans chantilly, des restaurants de campagne sont toujours décevantes. (Ma sœur, intelligement, se repliait sur la vanille, une valeur sûre).
Plus tard, j’ai adoré les glaces – mais pas toutes.

Je n’aime pas

Les glaces équilibrées, tout en nuance et en délicatesse, pas trop sucrée et pas trop grasse. Le sorbet au chocolat de la Maison du chocolat est une merveille. Une merveille qui ne comble pas mon envie de glace. Une pulsion de temps de canicule, comme d’autres ont des pulsions de temps de grossesse.

La glace est un plaisir du moment – évidemment. Impossible de la grignoter : elle se dévore. Elle doit être trop. Juste un peu. Trop de sucre, trop de crème, trop grosse aussi : ce léger excès rend amoureux façon passion dévorante.

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Les glaces proposées dans la boutique Lindt près de l’Opéra (Crédit photos : Studio Pixels & Papillon)

J’aime

Les cornets du marchand aux 4 267 choix (au bas mot), spécialisé dans les touristes estivaux. Il confectionne ses cornets sur place et propose la meilleure saveur « pâte à tartiner » que je connaisse.
Les bâtonnets entourés de beaucoup de chocolat et autant de noisettes, que mes grands-parents m’offraient sous l’ombre de la vigne.
Les pots pleins de choses mauvaises pour la santé pour lesquels je fais des allers-retours entre le congélateur et mon bureau. (En été, je travaille tant avec un ordinateur qu’avec une petite cuillère).
Sans oublier les cornets de
gelati dégustés au fil des rues de Florence et de Sienne, qui n’étaient plus des péchés grâce au plaisir partagé de deux amies.

J’ai aimé ce cône-dans-la-rue arraché au magasin Lindt, près de l’Opéra.
Une glace de ville bruyante et agitée, dont le stress devient amusant grâce à ce
trop que j’évoquais. Les goûts de chocolat (blanc et aux lait avec des noisettes) étaient pleins de ce qu’ils devaient, de ce qu’on cherche dans la tablette croquée devant la télé.

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Le pot peu glamour qui prouve que l’habit ne fait pas le moins, et que l’emballage ne fait pas la glace.

J’ai aimé ce pot-devant-une-série-sanglante commandé à Toupargel (les restos étoilés ne sont pas – encore – mon quotidien).
Attaqué – et fini – à la cuillère à soupe, la glace au caramel au beurre salé a un effet rassurant face aux pires horreurs. Y sont inclus des morceaux de caramel explosant sous la dent et une sauce qui rajoute – pêché – un crémeux supplémentaire à chaque bouchée-gorgée en train de fondre.

Boutique Lindt
11 bis rue Scribe
75009 Paris
D
u lundi au samedi de 9 h 30 à 20 h 00 – le jeudi jusqu’à 21 h 00
5,50 € les deux boules

Toupargel
4, 90 € le pot de 500 ml « Petite folie n°20 : Pot caramel au beurre salé avec sauce et éclats de caramel »

Biérologie inexperte

La première bière. Elle est bue sous le regard des autres. Son goût n’a aucun intérêt. Tant mieux : elle en a rarement. Les jeunes, filles encore plus, ne boivent pas leur première bière par plaisir. Vous étiez attablés. Tous vos amis avaient un verre. Vous ne saviez même pas quoi commander – une marque; une quantité ? Alors vous avez écouté vos voisins et fait comme eux.

L’attrait de la bière, comme du vin ou du café, s’apprend. Et beaucoup préfèrent l’acte de boire à la boisson.
Deux chose peuvent créer un déclic. Le moment. Avec des amis en soirée ou seul en terrasse, la bière prend tout son sens. Son goût se déploie dans une autre dimension – sociale et émotionnelle.
Et le goût. La saveur d’une vraie bière, celle qui est pétillante par nature et par caractère.

Coq et Licorne

Je ne connais rien à la bière. Ce qui suit dépend de mes préférences : je l’aime amère et fraîche, un peu caractérielle (qui se ressemble s’assemble).
J’avais déjà évoqué une brasserie parisienne, La Goutte d’Or, et sa bière réhoublonnée.
J’en ai découvert une autre à l’Omnivore World Tour : Gallia.

Pub pour la "nouvelle" Gallia, en 1879

Publicité pour la « nouvelle » Gallia, en 1879

Coq sur l’étiquette, patriotico-cocorico en diable, mais diablement bonne. Nouveau coup de cœur pour une bière réhoublonnée, l’Indian pale ale à l’odeur de mandarine. L’ajout de houblon pur lord de la garde démultiplie les arômes. (Elle sera bientôt en vente, avant l’été et les jours-à-terrasse j’espère).

Et, façon patriotico-cocorico, je veux citer la brasserie alsacienne Licorne. J’aime leur bière Black, ambrée et fumée. Elle a de la présence, sans la densité de goût (façon bloc de béton) de la Guiness.
J’adore leur Elsass, récoltée, brassée et commercialisée (désolée pour les Parisiens) en Alsace. Elle a un goût différent. Il est peut-être dans ma tête, issue de ma nostalgie. Mais en la buvant, j’ai toujours l’impression qu’elle reflète son terroir.

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Petite feuille est devenue grande

Café et cocktails : les boissons d’adultes sont traduites dans les dernières créations de la Maison du Chocolat. Elles sont réussies, toutes. Elles procurent le plaisir promis, rien de moins, mais rien de plus. Sauf le macaron, un petit rond à la puissance insoupçonnée.

Les adultes boivent des choses étranges. Ils aiment les vins blancs aux saveurs de roche, les vins rouges qui râpent le palais. Ils se versent des boissons amères dans des dés à coudre. Certains mélangent des liquides aux teintes suspectes sous des petites ombrelles.
Tous ces verres, toutes ses tasses, sont des symboles. Comme tous les enfants, j’ai voulu « devenir grande » et en avoir les caractéristiques. Je me suis forcée à apprendre certains goûts : le café, le vin, les alcools… et les infusions.
Rares sont les enfants qui aiment ces « eaux parfumées ». Elles n’ont rien de gourmand. Elles n’ont pas de texture et – de prime abord – aucune complexité de saveur.

La verveine, des sachets aux feuilles

Tous les soirs de mon enfance j’ai senti l’odeur de la verveine. J’ai vu les tasses fumantes et le plaisir manifesté par ceux qui les sirotaient. Je ne comprenais pas mais je regardais avec envie.
« Tu en veux une ? »
Je voulais être adulte, j’ai dit oui. La légère brûlure de la tasse dans les mains était agréable. La fumée parfumée emplissait et réchauffait les poumons. Soir après soir, le goût devenait familier, devenait agréable.

« Verveine » : un nom ronflant pour deux grammes de miettes enfermés dans un sachet.
Un nom mérité par les feuilles odorantes et friables ramenées d’un voyage dans le Sud.
Cette plante est donc à la fois un souvenir de mon moi-enfant et de mes vacances ensoleillées. Elle est aussi le symbole de mon apprentissage des goûts et des bons goûts. Un apprentissage permis par des errances parisiennes hasardeuses et des chocolats de luxe croqués avec timidité. Je n’ai pas délaissé mes tablettes 100% industrielles. J’y suis accro. Mais je suis tout autant adepte de certaines belles adresses, telle La Maison du Chocolat.

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(Visuel de La Maison du Chocolat – mes photos étant fort laides)

D’abord, le croquant de la coque, puis le fondant de la ganache. Ce macaron est un macaron, et un macaron réussi. Le chocolat annoncé est présent, allié sans fausse note à la framboise. La maison du chocolat est toujours dans l’équilibre. Les accords sont millimétrés, « parfaits », et parfois froid dans cette perfection.

Là, après la framboise, après le chocolat, le basilic, attaque et amuse un instant. Et la verveine sort, s’amplifie, rafraichit tout l’intérieur de mon palais et réchauffe tout mon corps. J’ai mis du temps à comprendre tous les liens mémoriels à l’origine de ces émotions. Tous ceux qui gouteront cette pâtisserie n’ont pas ces souvenirs. Ils ne ressentiront peut être pas le même bien-être. Le mien a été intense.

Macaron à la ganache cocktail de La Maison du Chocolat
Ganache au chocolat noir, à la framboise, au basilic et à la verveine.
1,85 €, à partir du 2 mai