Une passion pour Dodin-Bouffant

Je lirais bientôt La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet de Marcel Rouff. Ce classique de la cuisine gastronomique m’avait échappé. Jusqu’à la lecture de la BD de Mathieu Burniat : La passion de Dodin-Bouffant. Ce jeune auteur a au moins une groupie : moi.

Au début était …une couverture. Rose. Un homme attablé arbore le large sourire, un peu sadique, d’un chat contemplant un oiseau. Dodin-Bouffant se préparant à ripailler.

couverture
Puis fut la BD. Je n’avais pas, strictement pas, le temps de la lire en entier. Donc une page, pour juger du dessin. Il est fluide, expressif, caricatural mais élégant. Il donne le sourire. Bon, encore quelques pages, pour voir si Mathieu Burniat a l’art de commencer une histoire.

Eugénie, cuisinière du gourmet M. Dodin-Bouffant, explique comment elle préparera les lapereaux achetés au marché :

adèle

Puis ? Brouf. Eugénie tombe raide morte.
Dodin-Bouffant est au désespoir.
Je lis la BD en entier.

« J’aime manger. Viscéralement. »

Le fanatisme n’est pas dans mes gênes. Je ne vais pas aux dédicaces ou autres rencontres de ce genre. Ceci fut une exception :

« Pourquoi Dodin-Bouffant ? Le personnage n’est pas très connu …
– Je voulais faire une BD sur la nourriture, mais avec une vraie histoire, pas que des recettes. Comme je suis passionné d’histoire j’ai lu tous les grands cuisiniers français, ceux qui ont « fait » la cuisine française.
– En l’écrivant.
– C’est ça. Beauvilliers, Brillat-Savarin …, et j’ai trouvé ce que je voulais avec Dodin-Bouffant. J’ai du beaucoup le retravailler, puisque le livre ressemble plutôt à un recueil de nouvelles.
– Mais pourquoi une BD sur la cuisine, si vous êtes passionné d’histoire ?
– Parce que j’aime manger. Viscéralement.
 »

Homme de bien, donc.

Les recettes parsemant la BD sont issues de ces grands auteurs. A l’exception de celle des bouchées aux morilles. Elle a été offerte à Mathieu Burniat par le chef Philippe Emanuelli. Et à Dodin-Bouffant par un paysan venu lui présenter le plat d’une jeune paysanne, Adèle …

doddin bouffant1doddin bouffant2La passion de Dodin-Bouffant, de Mathieu Burniat, Dargaud, 128 pages, 17€95

Nourritures – et art – modernes

La Joconde, David et la Piéta. Mes connaissances artistiques sont grossières. Lorsque l’œuvre a moins de cent ans, elles sont inexistantes. Sauf si la nourriture en est le sujet, comme dans l’exposition L’art fait ventre.

Une peinture Vermeer, ou de Berthe Morisot, parle du quotidien, de la langueur, de sentiments qui résonnent dans les spectateurs d’aujourd’hui. Waterhouse met en tableau des sujets qui peuplent les imaginaires abreuvés aux poètes romantiques et aux mythologies celtiques.

Ces artistes plaisent – me plaisent – de façon égoïste. Ils me disent quelques chose, à moi. L’art moderne, souvent, ne me dit rien. L’exposition L’art fait ventre, au Musée de la Poste du 3 juin au 20 septembre, a surtout attiré mon ventre.

Parfois un petit texte explicatif précise le message que l’artiste a voulu transmettre. Soupçonneuse de nature, je me demande régulièrement si l’artiste n’a pas bâti sa grande-théorie-artistico-culturélo-révolutionnaire après coup. Le squelette composé de pasta des artistes Bevis Martin et Charlie Youle m’a moins intéressé qu’Albert, le squelette des classes de sciences naturelles.

pasta

Avis binaire

Un vernis de connaissances sur l’Art, qui peut tenir lieu de savoir dans une soirée (courte), ne suffit pas pour se sentir intelligente dans certaines exhibitions. Concernant l’art moderne, ma vanité a mis au point une tactique de survie. Je me donne donc le droit d’aimer ou détester sans avoir à me justifier.

J’ai aimé (pour ne pas parler des choses qui fâchent) :

La nature morte-vivante de légumes de Stéphane Soulié. Les végétaux filmés y sont en éternelle renaissance, et dégénérescence. Cette vanité new age est plus implacable encore que les tableaux de crânes, de sabliers et de futils bijoux. Elle contient également plus d’espoirs.

Wild Food de Martine Camillieri. J’ai rarement eu aussi peu envie de yaourt qu’en avisant son pot, plein de mini (presque mignonnes) briques de LEGO roses. La plasticienne explique chacune de ses reconstitutions par une information qui l’a choqué (saviez-vous que les morceaux de « fruits » peuvent être à base de gélatine ?). Sans parler du club sandwich d’éponge dont la texture, jamais goûtée, reste bien dans la bouche. Lui est « simplement » accompagné de sa composition.

sandwich    yaourt

L’art est aussi dans les mots. Ceux de Brigitte de Malau qui rend hommage à la poularde de la mère Brazier. Sa conclusion est des plus tristes : « Nous avons égaré le sens des rites muets et des douces odeurs subversives. »
La même artiste m’a enchanté (et enchainé) avec des mots s’échappant d’une soupière parlante. Je me sentais dans une maison de pain d’épices, un lieu de délices un peu dangereux. Les voix récitaient des textes du monde entier. Senghor parlant de la joie issue de la fraîcheur de la nuit, du mil nouveau et de l’huile vierge. Saisi à l’arrachée, arrivé par surprise, ces mots étaient aussi pleins de sensualité que le Cantique des Cantiques.

Aucune chanson n’est plus belle que la langue ancienne de Philippe Beaussant contant les « 28 variations sur le macaron de Philippe Lépolard ».

L’art fait ventre
Musée de la poste
Chemin du Montparnasse – 21 avenue du Maine
75015 Paris
Jusqu’au 20 septembre 2014
Entrée libre ; payant pour les différentes performances

Meuh (précision : meuh de contentement)

It-Cows ou VPV (Vraies peaux de Vaches); les noms de ces poupées à pis sont à leur image. À mi-chemin entre le farfelu et l’élégance. L’exposition Color My Milk de la Milk Factory donne («juste») envie de sourire.

Des vaches regardent passer des trains de visiteurs. Ces animaux ne ruminent pas. Ils innovent.
18 productrices de lait – et fières de l’être – sont disposées dans la Milk Factory (Paris 11ème). Alors, oui, les blagues précédentes ne sont pas géniales, mais cette exhibition « Color My Milk » pousse à blaguer sans se prendre la tête, à créer sans se prendre la tête, à manger sans se prendre la tête.

EXPO COLOR MY MILK 1

Dans cette salle, Kate Prim’Holstein côtoie Paris Milkton et le couple Salers de Castelbajac. Une It-Cow) porte un sac siglé MAMEL et une arbore une marinière Jean-Paul LAITIER. Le groupe de rockeuses est « born for milking you, baby » et la motarde se demande s’il faut « brouter pour vivre ou vivre pour brouter ».

04-Brouter pour vivre ou vivre pour brouter

J’ai résisté – très fort – à l’envie d’en embarquer une pour orner mon salon.

Rire un coup et manger beaucoup … (What else ?)

Isabelle Schaff est un génie de l’aiguille. Elle m’a donné envie de refaire ma garde-robe. (Moi, qui suis une opposante au shopping et une inculte de la mode).

02-C'est pas parce qu'on est des vaches, qu'on peut pas aimer la mode

Ses créations s’accompagnent de jeux de mots … et de recettes. L’artiste a rhabillé les vaches, Sonia Ezgulian les a équipé de yaourts. Cette arménienne travaille depuis toujours avec ce produit laitier. Il fait partie de sa culture culinaire, bien plus que le lait ou le beurre. Pour ces personnages déjantés, elle l’a taillé sur mesure. « Quand on voit la recette du yaourt; ça doit coller avec la vache, explique-t-elle. On doit se dire que c’est une évidence ».
Le yaourt au lait entier de la – bling-bling – Donatella la Vosgienne s’accommode de crème de truffe blanche et éclats de sucre d’or.

La Milk Factory
5 rue Paul Bert
75011 Paris
Jusqu’au 2 août 2014

(photos remises)

Le camembert est sexy

Un vieux paysan bougon trempe sa tartine dans un bol de café. Le camembert a autant de mal à se défaire de cette image que de son odeur. Un cliché que ceux de l’exposition « Les filles à fromage » met à mal.

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Mouna Briya, restauratrice

Elles sont aguichantes. Les modèles posent de façon plus que suggestive et chacune donne des idées déraisonnables. L’artiste a immortalisé Mouna Briya, restauratrice, yeux fermés, toute à son plaisir. Elle a planté les dents dans une tartine de Saint-Nectaire. Elle a deux points communs avec les autres femmes passées devant l’objectif de Thomas Laisné. Elle est belle et elle aime – le mot est faible – le fromage. Ces actrices, présentatrices, comédiennes, chefs de cuisine, sont membres du Cercle Officiel des Filles à Fromages Et plus si affinités (COFFE). L’exposition qui se tient à la Milk Factory reprend leur surnom : « Les filles à fromage ». Ces vingt clichés prouvent une chose : manger du fromage français n’empêche pas d’être sexy.

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Julie Boulanger, comédienne

Selon Claire Griffon, fromagère dans le 7ème arrondissement de Paris, a accepté de participer à ce projet « parce qu’il valorise aussi bien le produit que les femmes ». Selon elle, une fille à fromage est une femme « qui aime le fromage, le consomme, en parle, et le promeut autour d’elle ». L’exposition joue ce rôle à merveille. La présentatrice Donia Eden entrouvre ses lèvres pulpeuses devant un triangle de Pouligny Sty-Pierre. La comédienne Julie Boulanger se déhanche à peine en portant un plateau de fromage.

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Donia Eden, présentatrice

Mais Claire Griffon ne s’arrête pas là : « cette femme est aussi heureuse de vivre, belle et sexy, comme la majorité de mes clientes. Le fromage fait grossir ? Ce n’est pas ce que je vois en boutique ». Elle a raison. Toutes les femmes qui admirent les photos sont élégantes, souriantes, voir en train de rire aux éclats. Le fromage rend belle, et heureuse.

(Mais à quand une exposition « Les gars à fromage » ?)

Les filles à fromage
Un certain charme à la française
Photographies de Thomas Laisné
Du 7 février au 26 avril 2015
Milk Factory, 5 rue Paul Bert Paris 11ème

(Article rédigé pour le magazine Mint)

S’ils en prenaient de la fève… (2/2)

« C’est bon ». Cette appréciation, et ses variantes, est un révélateur immédiat du plaisir. L’auteure de ces lignes mange bien, mais prononce rarement ces mots. Souvent, les assiettes goutées se révèlent succulentes. Mais les bâtis architecturaux qui s’y élevent sont longs à analyser. Si longs que le jugement ne peut être immédiat. Et si la préparation d’un dessert rivalise de complexité avec une déclaration d’impôts, un peu du plaisir se perd en route.

Dans L’élégance du hérisson, la jeune héroïne de Muriel Barbery demande si c’est le chocolat qui est bon, ou la technique de la dent qui le broie. Le lecteur sent alors ses molaires se languir de la douce résistance d’un carré de chocolat compact, qui s’écrase en lâchant sa délicieuse amertume sur les gencives. Juste. un. carré. de. chocolat. Sans chichis.
Cet art, les chocolatiers français s’en éloignent souvent. Le piment, la truffe ou l’avocat s’accordent avec cet aliment des dieux, parait-il. Mais les choses qui s’arrangent le mieux d’une cohabitation avec l’or noir sont: un moment parfait, une explosion de gout et une texture dense.
Les chocolatiers danois semblent bien droits dans leurs bottes. Certes, leurs équilibres de gout ne sont pas parfaits, et ils ne lésinent pas sur le sucre.

Fruits secs au chocolat de Simply Chocolate

Fruits secs au chocolat de Simply Chocolate

Mais des pépites de belle taille poudrent les doigts, fondent et croustillent dans la bouche. Les fruits secs, acidulés ou oléagineux – vive le praliné – sont à l’honneur. D’épaisses barres fourrées se dévorent en grosses bouchées qui remplissent la bouche de moelleux au goût intense.

Même les anglais!

Les danois savent parler plaisir. Les anglais aussi, qui ont débarqué dans Østergade avec une annonce pompeuse: Hotel Chocolat. Grande artère, grande enseigne, le pire est à craindre. Honte à l’auteure de ces lignes qui a pensé ainsi et hésité très -trop- longtemps avant d’y pénétrer.

HC2

Éclats:
Chocolat à 80% et à 70% avec éclats de caramel

Les bouchées de chocolats, même à très haut pourcentage de cacao, ont un goût tout rond. Les blancs ne sont pas écœurants et les noirs sont gras et fruités. Sans complexité, ils sont bons.
Au bar à chocolat, le gourmand peut commander un chocolat chaud au caramel salé. La tasse est blanche, lisse. Le liquide clairet dégage une fragrance de fête foraine et de gouter d’hiver. Le goût lacté du caramel porte le nom de « douceur ». Le moment se dit « réconfort ».
Tout autour, les clients attaquent la mousse qui surplombe leur verre.

"Made in Copenhagen"

« Made in Copenhagen »

Renseignement pris, la préparation est le « Made in Copenhagen ». Le lendemain, le choix est évident. Les fèves « du moment » sont conchées sur place.

Fèves conchées sur place Ce Jour-là: Venezuela

Fèves conchées sur place
Ce jour-là: Venezuela

Le serveur recueille la liqueur obtenue et l’allonge à peine de lait. « With cream? ». C’est plus cher? Oui. C’est raisonnable? Non. Tant pis: « Yes, please ». Le chocolat est liquoreux et amer. Fort, il peut se déguster à la petite cuillère. Le summum est de le boire à petite gorgée. Il envahit tout le palais et nappe le fond de la gorge. Ce verre là ne contient pas un liquide, mais une vraie nourriture. Elle nourrit l’âme et guérit la mélancolie, tels ces souvenirs qui drapent dans le confort de l’enfance.

S’ils en prenaient du grain.. (1/2)

Cocorico, la France est le pays de la gastronomie. Cela étant dit, certains se reposent sur leur bouquet garni. Les usages sont parfois discutables, et la qualité en pâtit. Un petit voyage dans un pays peu connu pour la bonne chère entraine découvertes et remises en cause. La petite sirène danoise a quelque secrets dans son cabas…

« France, pays du pain ». Cette phrase est abusive. « France, pays du pain français » serait plus exact, bien que parfaitement inutile. Inutile et sujet à caution. Car entre baguettes pâlichonnes et sandwich SNCF, la production boulangère hexagonale est loin d’être toujours un exemple.

Le Danemark, lui, n’est pas connu pour sa haute gastronomie, ni pour son pain. Pourtant, la filière boulangère y est autant digne d’intérêt que peu développée. Elle est aussi gourmande qu’éthique. Lorsque les autres européens commençaient à peine à causer écologie, le sujet était déjà au centre des préoccupations danoises. Le bio y est devenu une habitude, et non une exception. A Copenhague, la vingtaine d’adresses d’Emmerys affiche fièrement la mention « økologisk », au dessus de pains au moelleux irréprochable.

Økologisk valnøddebrød (Photo extraite du site web)

Økologisk valnøddebrød d’Emmerys
(Photo extraite du site web)

La tendreté de la mie est une constante, dans les boulangeries comme dans les restaurants. Ceux-ci sont nombreux à cuire leur propre pain. Ainsi et entre autres, le minuscule restaurant Supanatural cuit tous les jours de petites miches, servies en tranches crousti-moelleuses, chaudes et réconfortantes.

Enfoncé, le jambon-beurre…

Le rugbrød est le pain de table danois par excellence. Composé de farines de seigle et de blé, enrichi de nombreuses graines, il est pauvre en sucres et en graisses. Certes, sa réalisation est surement moins technique que celle de miches à longue fermentation. Mais le plaisir est toujours là. Nature, il se dévore déjà comme une pâtisserie. Tartiné de beurre salé, sa dégustation est un péché.

Smørrebrød décomposé : rugbrød, beurre salé, betteraves et boulettes de viande.

Smørrebrød décomposé : rugbrød, beurre salé, betteraves et boulettes de viande.

L’inventivité des dannois ne s’est pas arrêté là. Le rugbrød sert de base au smørrebrød. Sur de fines tranches de pain se superposent harengs et maquereaux, betteraves et oignons, œufs et viande fumée.

Smørrebrød de chez Aamanns: Harengs épicés, oignons, pommes de terre, câpres... Crême fraîche à s'en mettre plein le nez et à cueillir avec les chips de pain.

Smørrebrød de chez Aamanns:
Harengs épicés, oignons, pommes de terre, câpres…
Crème fraîche à s’en mettre plein le nez et à cueillir avec les chips de pain.

Cerise sur la tartine, le rugbrød se conserve longtemps. Et les boulangeries le recyclent sans mal: presque toutes le proposent en chips croustillantes, caramélisées et pleines d’arômes de graines grillées.

La petite « boulangerie » est appelée à l’accueil…

L’émission « La meilleure boulangerie de France » est diffusée depuis plusieurs semaines sur M6. En omettant toute notion de qualité, cette production télévisuelle est discutable sur le plan éthique.

« La meilleure boulangerie de France » peut servir à illustrer les aspects les plus dérangeants de la télé-réalité culinaire. Cet article ne vise pas à faire le procès du genre. Certaines des dernières productions sont plus qu’agréables à regarder, sont bien construites et instructives. Mais nombre d’entre elles sont simplement racoleuses.
Le premier écueil que le programme de M6 n’a pas su éviter est le choix du nom, donc du positionnement.

Meilleure que quoi?

Affirmer qu’une boulangerie est la « meilleure » signifie nécessairement que les autres sont moins bonnes. Ce qui n’a aucun sens. Le croissant de la boulangerie en bas de la rue est une merveille, sa baguette n’en est pas moins mal cuite. A l’autre bout de la ville, un pain à la croûte croustillante côtoie un flan farineux. Comparer deux boulangerie est à peine plus significatif que comparer un boucher et un vétérinaire, les spécialités n’étant pas les mêmes.
L’objection est aisée: toutes les boulangeries proposent du pain.

painrisien article MBF

A lire, l’article du Painrisien,
qui a testé nombres des adresses sélectionnées en Ile-de-France

Certes. Mais le jury de « La meilleure… » ne s’intéresse pas à cette base. Aucun épisode ne se penche sur le cas de la baguette, aucune voix off ne décrit ce que peut-être un bon pain de campagne. Ainsi que le fait remarquer le painrisien, la production semble avoir favorisé le plus télégénique.

La justice est aveugle, l’injustice se voile la face

Ce premier problème est corrélé à celui de la sélection. Tous les produits d’une adresse ne sont pas présenté à l’écran, et surement pas testé. Ce seul fait empêche le jugement d’être global, donc juste.
Mais le programme affirme son envergure nationale. Or affirmer tenir la « meilleure » quelque chose ne peut être permis qu’à ceux qui ont tout testé. Non seulement la production ne s’y est pas obligée mais a choisi de déléguer la sélection des artisans aux téléspectateurs. Résultat: les adresses choisies sont les meilleures communicantes et celles dont les clients maitrisent les outils médiatiques, principalement les réseaux sociaux. Ce premier tri se fait donc sur des critères sans rapport aucun avec la boulangerie.

La très discrète boulangerie

Enfin, les spectateurs peuvent, ou devraient, se sentir floués. Ceux qui aiment la boulangerie, qui mettent les mains dans la farine ou achètent quotidiennement leur pain préféré, auront pâli, d’horreur, et rougi, de colère. Car l’émission omet d’aborder son sujet principal. La boulangerie et ceux qui la pratiquent ne sont pas mis en valeur.

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Bruno Cormerais et Gontran Cherrier, artisans de talent. Et pourtant, juges de l’émission. (Photo Julien Lemal/M6)

Soit les juges disposent d’un vocabulaire fort limité (« Ça sent bon chez vous »; « c’est un personnage » et le désormais traditionnel « c’est gourmand »), soit ils hésitent à dire ouvertement leur pensée, soit ils prennent les téléspectateurs pour des idiots.
La télé-réalité culinaire a un principal argument de défense. Elle affirme participer à la promotion de la cuisine, auprès d’une audience qui en ignore tout. Ici, la dite audience n’apprend rien et l’image qu’elle se fait du métier de boulanger est tronquée voir erronée.

Redevenons des mangeurs sensuels

« Aujourd’hui, j’ai vraiment privilégié le goût ». « Pour moi ça a toujours été 50/50: le goût compte autant que le visuel »… Deux phrases parmi la multitude entendue lors d’un célèbre concours télé. Deux phrases qui disent bien l’étrange place que l’esthétique semble prendre dans une assiette dont le goût n’est plus qu’un des composants. Cette esthétisation à marche forcée est un des thèmes abordés par Bénédict Beaugé dans le livre « Plats du jour » (Ed. Métailié).

Cet ouvrage culinaro-sociologique interroge la notion de « nouveauté », désormais au cœur de la façon occidentale de penser la gastronomie. Une cuisine qui a depuis longtemps cessé d’être moyen de se sustenter et aujourd’hui s’éloigne tout autant de l’idée de plaisir culinaire.plats-jour-idee-nouveaute-cuisine

Cette voie occidentale s’internationalise avec l’importance que prend le domaine culinaire, principalement par le biais des médias. Télé, magazine, livre: tous les supports concourrent à créer un buzz mondial. Buzz qui, selon l’auteur (itw pour Atabula), « a pris la place de la modernité culinaire ou en tout cas monopolise la modernité du discours culinaire et en tient lieu ».

Plaidoyer pour la gourmandise

Le livre est dense et fourmille d’idée. Trop pour que l’on puisse ici toutes les évoquer. Si l’auteur y retrace l’histoire de la gastronomie depuis plusieurs siècles, s’attardant notamment sur le style imposé par Carême, les pages les plus intéressantes portent sur les dernières décennies. La cuisine n’évolue pas seulement en techniques, ingrédients et saveurs. La médiatisation accrue comme la transformation des restaurants avec l’apparition des portons individuelles puis des menus imposés (et à rallonge) à sont les signes visibles d’un changement de lieu du pouvoir. Le client était roi; le cuisinier est désormais tout puissant.

Ainsi le restaurant n’est plus lieu de convivialité mais d’analyse. Le client ne vient plus se faire plaisir mais « tester » ce qui fait le buzz. Mais l’ouvrage de Bénédict Beaugé est à lire tout autant pour s’instruire que pour s’interroger. Il s’achève sur un plaidoyer pour le retour de la gourmandise sur la table. Amateurs de cuisine, revenez à la recherche du plaisir sensuel.

« Des légumes et des hommes »

EXPOSITION – Des légumes biscornus mais joliment photographiés. Ils forment la moitié du sujet de l’exposition « Des légumes et des hommes » qui se tient au Chai de Bercy, cours Saint Emilion, depuis le 29 septembre jusqu’au 31 décembre.

Après être passée par le Potager du Roi à Versailles et le Jardin des Tuileries, l’exposition prend place au milieu d’un petit jardin où se côtoient blettes et courgettes.  » Des légumes et des hommes  » dévoile trente-deux photos aussi drôles qu’originales et saisies par la photographe Joëlle Dollé. Un thème resté inexploité par la portraitiste dont les deux sujets précédents étaient la maladie et le handicap. Parce que trop souvent arrachés de terre et cuisinés sans un regard, les légumes perdent toute leur histoire et leur force symbolique. Pour l’artiste, il s’agit ainsi de leur donner une reconnaissance en les photographiant avec la complicité de l’homme. Chaque image est accompagnée d’un texte signé Christophe Opec. Ces quelques lignes suggèrent  un lien, celui du vivant.

Redécouvrir l’épinard, le poireau mais aussi le raifort d’Ardèche. Les photographies montrent tout aussi bien un large panel de légumes que de personnalités. Joëlle Dolle a pioché parmi ses amis, sa famille, ses voisins mais aussi parmi le paysage culinaire et culturel français. Ainsi, le philosophe Michel Onfray interroge un rutabaga ou un homme s’amuse de sa moustache de poireau. Il cache son sourire, le public a du mal à retenir le sien.

Croiser le portrait d’une jeune fille-sylphide à qui deux myrtilles offrent un regard hypnotique ou encore un ténor dont  on ne sait s’il chante ou aspire des champignons,  » Des légumes et des hommes  » étonne. L’exposition gratuite, présentée par la Mairie de Paris, ouvre tous les jours de 10 à 17 heures au 41, rue Paul Belmondo dans le Parc de Bercy. Un évènement qui n’est pas sans rappeler le  » Banquet des 5000  » qui s’est tenu samedi 13 octobre sur le parvis de l’Hôtel de ville. Un repas géant et gratuit entièrement élaboré avec des légumes disqualifiés.  Ne plus s’accommoder du gaspillage, consommer de tout avec respect, expulser la perfection de la chaine alimentaire … La ville de Paris s’engagerait-elle à faire changer les mœurs ?

(Article publié sur Fréquence ESJ)