Biérologie inexperte

La première bière. Elle est bue sous le regard des autres. Son goût n’a aucun intérêt. Tant mieux : elle en a rarement. Les jeunes, filles encore plus, ne boivent pas leur première bière par plaisir. Vous étiez attablés. Tous vos amis avaient un verre. Vous ne saviez même pas quoi commander – une marque; une quantité ? Alors vous avez écouté vos voisins et fait comme eux.

L’attrait de la bière, comme du vin ou du café, s’apprend. Et beaucoup préfèrent l’acte de boire à la boisson.
Deux chose peuvent créer un déclic. Le moment. Avec des amis en soirée ou seul en terrasse, la bière prend tout son sens. Son goût se déploie dans une autre dimension – sociale et émotionnelle.
Et le goût. La saveur d’une vraie bière, celle qui est pétillante par nature et par caractère.

Coq et Licorne

Je ne connais rien à la bière. Ce qui suit dépend de mes préférences : je l’aime amère et fraîche, un peu caractérielle (qui se ressemble s’assemble).
J’avais déjà évoqué une brasserie parisienne, La Goutte d’Or, et sa bière réhoublonnée.
J’en ai découvert une autre à l’Omnivore World Tour : Gallia.

Pub pour la "nouvelle" Gallia, en 1879

Publicité pour la « nouvelle » Gallia, en 1879

Coq sur l’étiquette, patriotico-cocorico en diable, mais diablement bonne. Nouveau coup de cœur pour une bière réhoublonnée, l’Indian pale ale à l’odeur de mandarine. L’ajout de houblon pur lord de la garde démultiplie les arômes. (Elle sera bientôt en vente, avant l’été et les jours-à-terrasse j’espère).

Et, façon patriotico-cocorico, je veux citer la brasserie alsacienne Licorne. J’aime leur bière Black, ambrée et fumée. Elle a de la présence, sans la densité de goût (façon bloc de béton) de la Guiness.
J’adore leur Elsass, récoltée, brassée et commercialisée (désolée pour les Parisiens) en Alsace. Elle a un goût différent. Il est peut-être dans ma tête, issue de ma nostalgie. Mais en la buvant, j’ai toujours l’impression qu’elle reflète son terroir.

elsass

Propos supposément profonds sur la nature du sushi

Le sushi s’est mondialisé. Les cuisiniers qui le préparent clament pourtant leur filiation à une tradition bien japonaise. La tradition d’un objet totalement transformé.

Joël Robuchon a créé pour Sushi Shop un sushi de Saint-Jacques snackée. Ce nom me pose problème. Je suis une française franchement franchouillarde, qui s’y connait autant en cuisine japonaise qu’en physique quantique. Mais selon moi ce « sushi » n’en est pas un. Je ne parle pas la qualité gustative – discutable – de la chose. La cuisson n’est pas non plus en cause : le néta d’un sushi n’est pas forcément cru.

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(Crédit photos : Sushi Shop)

Cette composition n’est pas un sushi car n’est née ni de l’histoire ni de l’instant.

L’histoire

Enfonçons une porte ouverte : le sushi est un symbole de la tradition culinaire japonaise. Une tradition-trésor sur laquelle les Japonais ne transigent pas. Les maîtres sushi et leurs apprentis ne travaillent pas l’innovation. Ils cherchent à appréhender, apprendre puis maitriser au mieux des gestes perfectionnés au fil des siècles. Appeler « sushi » une création est un non-sens.

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« La plus belle crevette du monde » photographiée à Sushi Mizutani (Tokyo) par Sophie Brissaud

On me parlera de métissage, d’évolution naturelle, de marche de l’histoire. J’accepte ces notions. J’aime le croisement des cultures, la transformation par les échanges, culturels comme économiques. J’aime moins le métissage volontaire et grossier provoqué par des surfeurs de mode.

On me parlera de réinterprétation des classiques. Vive Top Chef et tous ceux qui ont popularisé l’idée de déstructuration. Expliquez-moi ce qui peut être déstructuré dans la limpidité d’un sushi. Pourtant, d’étranges « maki » fleurissent dans tout le pays, entourés de feuilles de chou, plein de fruits exotiques, voir au parfum de bœuf bourguignon (quelqu’un, quelque part, a du oser). La réinvention des traditions est possible. Elle a ses limites. Aucun chef français n’acceptera d’appeler « poule au pot » une préparation à base de bœuf. Qu’ils aient la même délicatesse envers les autres pays.

L’instant

Je parlais de tradition culinaire. Celle du Japon est aussi ancienne que celle de la France. Mais elles sont radicalement distinctes. La cuisine française est rédigée. Les livres de recettes existent depuis le Moyen-Âge et de grands cuisiniers, comme Escoffier, ont codifié et nommé les techniques de base. La cuisine japonaise, selon moi, est plutôt une cuisine de savoir-faire.

La recette du sushi n’existe pas. Le maître choisit chaque jour son poisson, calcule sa maturation, adapte sa coupe. Il tient compte de son produit, des envies du client et sans doute même des conditions atmosphériques. Chaque sushi est unique.

Ces pièces sont donc à l’opposé de celles de Sushi Shop, préparées à la chaîne selon une recette stricte.
Joël Robuchon est un grand cuisinier et j’adore la Saint-Jacques juste snackée. Conséquemment la bouchée qu’il propose me donne envie. Mais la chaîne de restaurant doit laisser les sushi à leur tranquille beauté. Qu’ils changent juste le nom. « Saint-Jacques snackée sur lit de riz à la Japonaise » sera tout aussi vendeur.

Qui a volé, a volé, a volé…

Dans Charlie et la chocolaterie, la mère cuisine une soupe goûteuse avec un peu de chou et beaucoup d’eau. Dans la vraie vie, elle achète une pizza surgelée premier prix. Entre les deux, un vol a été commis.

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Helena Bonham-Carter et sa soupe au chou, dans Charlie et la chocolaterie de Tim Burton.

Pot-au-feu. Paella. Pudding et pain perdu. Toutes ces préparation ont un point commun. Non, deux. Leur initiale – sans intérêt, certes – et leur origine. Leurs créateurs, et ceux qui leur ont succédés, étaient pauvres. Pas des mendiants, des apeurés, des contraints de tendre la main. Juste des gens pour qui chaque tranche de pain est précieuse. Qui ne peuvent s’offrir une belle pièce de bœuf ou un carrelet.

Et l’histoire de ces plats bat en brèche l’idée qu’être pauvre implique de mal manger. Vous avez du entendre cela. Vous avez en tête l’image du « pauvre » qui se nourrit de paquets de chips. Les magazines télé serinent que les nourritures à bas prix sont les plus sucrées, les plus grasses, bref, les plus mauvaises.

Tout cela est vrai, et faux.

Quelqu’un a volé la nourriture des pauvres.

Ni vu ni connu, je t’embrouille: les plats de pauvres sont devenus chers. La bouillabaisse est vendue 20 € dans des restaurants pour touristes et le pain perdu se réinvente en dessert de palace parisien. Et les pauvres mangent de l’industriel-bas-de-gamme. Les chiffres le prouvent, les études le prouvent, la prévalence des cas d’obésité dans les foyers à faibles revenus, le prouve.

Le discours général est donc : « pauvre pauvres, obligés de mal manger ».

Première raison avancée : le rapport qualité/prix. Les aliments les moins coûteux seraient les plus mauvais.
Vrai. Entre deux pizzas surgelés, la plus chère est meilleure. Mais la pizza reste plus chère que la tomate, la salade ou le concombre. Nos aïeux cultivateurs avec trois champs de patates et marins qui ramenaient trois sardines mangeaient mieux que nous. Soit, j’exagère. Mais l’idée est là.

Ici, entrée en scène de la deuxième raison. Les gens n’auraient pas le temps/l’envie de passer en cuisine le soir.
Vrai, encore. Ouvrir une conserve est plus rapide que de préparer un bourguignon. Mais pas plus que de couper une carotte.

Troisième raison : le manque d’informations. Les « pauvres » seraient bombardés de pubs et de messages divers vantant ces « mauvais produits ».
Vrai, encore, encore. Mais les riches voient les même pubs. Tous regardent les mêmes enquêtes sur l’industrie agro-alimentaire et les même nouvelles chevalines du JT.

Le reportage de France 5 sur la pizza industrielle … entre autres émissions sur l’agro-alimentaire

Toute cette rhétorique amène deux conclusions. Soit les pauvres sont tous des débiles profonds – là j’ai un doute. Soit quelque chose a fixé une fois pour toutes ce que chacun doit manger.
Et la nourriture est puissante. Son image a un sens social. Le « pauvre » d’avant avait le droit aux jolis films en noir et blanc et aux diners chaleureux à la lueur d’une bougie. Le pauvre d’aujourd’hui a le droit aux teintes criardes des reportages racoleurs.