Jin l’incompréhensible (partie II)

Takuya Watanabe confectionne ses sushi, un-à-un. Il les dispose sur le petit plateau, devant moi, assise au bar du restaurant Jin (Paris Ier). Au fil du dîner, le rituel devient familier. Mais chaque pièce est un mystère.

Futurs sushi.

Futurs sushi.

Une unique lamelle de poisson est posée sur chaque boulette de riz. Celle-ci a la forme idéale pour être saisie entre deux baguettes – ou doigts – et engloutie en une fois. Ce qui signifie que vous avez une possibilité, une seule, de l’apprécier. Mais le sens de mise en bouche, la partie que la langue touche en premier, la façon de mordre et mâcher : chaque détail influe le ressenti final.

Moi, j’ai toujours peur d’avoir « mal » mangé mon sushi !

Suite du défilé

(Première partie ICI).

Désormais le riz a une couleur rosée : il est assaisonné de vinaigre rouge. Son goût est plus puissant, en accord avec les poissons qui le couronnent.

Sushi de thon en zuké.

Sushi de thon en zuké.

Chihiro-san m’explique que ce thon d’Espagne, mariné dans la sauce soja, a des « grains plus fins, une chair plus fine ». Seule, j’aurais seulement surtout remarquée son aspect moiré, comme un cuir vieilli mais régulièrement ciré.

Sushi de thon (photo disparue dans ma gloutonnerie).

Cette lamelle est entre le chû-toro (thon mi-gras) et le thon normal. Bien que le poisson ne soit pas relevé de sauce soja, comme le précédent, et qu’il soit moins gras, il a, en lui-même, plus de goût.

Sushi de chinchard.

Sushi de chinchard.

Je remarque seulement que nous avons changé de registre de « puissance ». Les poissons blancs étaient discrets, comme des japonaises en kimono, avançant à petits pas. Celui-ci est une femme exubérante qui n’a pas peur de dire les choses.

Sushi de rouget.

Sushi de rouget.

Carnet de notes vide. Pénurie de mots pour parler de ce poisson. Il m’a semblé avoir moins de caractère que ses comparses « à riz rose ».

Sushi de sardine.

Sushi de sardine.

Il donne une sensation de gras, une mâche plus proche de celle du beurre, à la limite de l’agréable… mais la bonne limite, celle qui surprend.

Sushi de saumon.

Sushi de saumon.

Carnet de note vide bis. Rien à voir avec les choses que j’ai déjà acheté dans des barquettes plastiques. La différence est si importante que je ne sais pas à quoi la comparer. Disons que je déguste un grand vin de Bourgogne après une vie à boire de l’eau de javel.

Sushi de sériole fumée.

Sushi de sériole fumée.

L’accent « fumé » du poisson s’accentue petit-à-petit, finissant par masquer le goût marin. Je finis par lui trouver un goût de jambon de la Forêt-Noire.

Tamaki de thon gras.

Tamaki de thon gras.

Le riz semble un peu plus chaud que d’habitude, et le thon est glacé (pour éviter qu’il ne fonde tant il est gras!). Le contraste de température me surprend tant que je n’ai pas le temps de m’intéresser au goût…

Tamago.

Tamago.

Une omelette dense mais mousseuse, au goût de crevette sucrée. Ils sont fous, ces Japonais. Cette bouchée le donne envie de rire – ce genre de réaction me prend quand arrive une bonne surprise.

Sushi de daurade.

Sushi de daurade.

*Bonus* Non prévu au menu, ce poisson sera en fait servi le lendemain. Il a donc moins reposé que prévu, ce qui lui donne plus de mâche.

Soupe miso au bouillon de homard.

Soupe miso au bouillon de homard.

Une soupe très ronde en bouche, gentiment sucrée et surtout très jolie. Un nuage trouble le liquide transparent comme de l’eau : aussi fascinant à observer que la fumée d’une cigarette.

Fraises, gelée au yuzu, mousse au hôjicha.

Fraises, gelée au yuzu, mousse au hôjicha.

Ceci est moins un dessert qu’une fin de repas, pour se rafraîchir le palais, comme avec un thé. Il clôt le dîner avec de l’acidité, un peu de sucre et de crémeux, et un goût torréfié très agréable. Dommage que les fraises n’aient pas été meilleures. Un jour, quelqu’un devra écrire sur la grande histoire d’amour entre Japonais et fraises.

Impossible pour une novice de tout comprendre, tout saisir, de ce repas du bout du monde. Ce qui n’a rien de grave. La vraie question est toujours : « As-tu aimé ? ». La réponse est : « Oui. ». (Voire : « Encore ! ».)

Jin
6, rue de la Sourdière
75001 Paris
01 42 61 60 71
Menu sushi (déj. hors week-end) à 65€, menu déjeuner à 95 €, menu dégustation à 145 €

Jin l’incompréhensible (partie I)

Les Français peuvent-ils apprécier les sushi ? Ils sont handicapés par des histoires, personnelles et nationales, pleines de gibiers, sauces et crèmes. Rien ne les prépare aux nuances de l’art du poisson japonais. Jin, sushiya parisien, est à réserver à ceux qui accepteront de ne pas comprendre.

Le yanagi-ba (litt. "lame de saule") du maître.

Le yanagi-ba (litt. « lame de saule ») du maître.

Bar, turbot, béryx, sériole, daurade. Ces poissons ont une chair blanche (plus ou moins). Ils sont sûrement pourvus d’écailles, et de quelques nageoires. Mes connaissances s’arrêtent là. Leurs goûts sont différents, infiniment, mais sur une échelle infime. Ces variations, je n’ai pas les mots pour les décrire.
Mon maître Yoda personnel, Chihiro Masui, m’a conviée au défilé de haute cuisine nippone du restaurant Jin (Paris Ier). Et m’a mis dans une situation atroce : aimer, sans pouvoir parler.

Takuya Watanabe manie le yanagi-ba devant ses convives perchés sur 12 tabourets. Chaque geste est lent, semble-t-il. Cette impression trompeuse naît de de la précision. Le maître n’accomplit que les mouvements strictement nécessaires. De ce ballet tranquille – où danse une arme ! – naissent des pièces d’orfèvre.

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Le maître Takuya Watanabe tranche la seiche,
puis l’entaille très délicatement (pour le résultat, voir plus bas).

Fragments de Japon

Je ne peux faire qu’un compte-rendu chronologique, et parcellaire. Les étapes longuement décrites sont celles que mes papilles ont su saisir : les goûts y sont plus marqués. Ni meilleurs, ni moins bon.

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Homard au vinaigre de Tosa, chou-fleur au miso blanc.

Le vinaigre de Tosa (Tosa-zu), explique Chihiro-san, est en fait « un mélange de vinaigre, sauce soja et mirin, auquel est ajoutée à la fin de la bonite séchée (katsuo-bushi) ».
Le chou-fleur est frais, un peu acide, mais aussi sucré comme une friandise. Les grosses bouchées de homard appellent une mastication prolongée, et permettent au goût du crustacé de se déployer.

Bouillon de crabe royal avec champignon géant

Bouillon de crabe royal avec champignons géants.

Les champignons sont croquants, avec un goût de sous-bois. Le crabe s’effeuille. Ils sont liés par un « bouillon » qui a été épaissi au kuzu. Cette fécule issue d’une racine a le même effet principal que la Maïzena, mais la texture finale est très soyeuse, sans vilain goût farineux. Le résultat est aussi très beau : à la dégustation, des bulles d’air restent piégées dans le bouillon et scintillent.

Sashimi de bar, myoga, wasabi, sel

Sashimi de bar, myoga, wasabi, sel.

Les ennuis commencent. Le poisson est d’un extraordinaire moelleux, mais impossible de mieux le définir. Je goûte enfin le (vrai) wasabi : il est un peu râpeux sur la langue, il monte au nez mais reste… doux.

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Sashimi de thon, algue nori confite.

Ce thon est une impossibilité physique. Ces morceaux ne peuvent exister : ils ont la texture du beurre (et même de beurre mou). Le confit d’algue est puissant, mais aussi très sucré. Ceux qui aiment cette saveur auront envie d’en tartiner au petit-déjeuner.

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Maki de Naruto : nori, shiso, chinchard et gingembre mariné.

Je croque et le jus du gingembre mariné s’échappe. Cette sensation me rappelle les xia long bao, ces ravioli renfermant farce et bouillon. Le piquant du gingembre vient après et finit par envahir la bouche. Le nori se distingue également très bien, mais j’y perds le chinchard.

Huîtres marinées au sel, mini-pois sucrés.

Huîtres marinées au sel, mini-pois sucrés.

Les légumes ont le goût des petits pois de ma grand-mère, croqués crus juste après récolte.
Chihiro-san m’explique l’huître : « Elle est préparée en shio-kara. À l’origine, c’est une préparation de seiche, marinée avec ses viscères et du sel. Ici l’huître a été reposée avec du sel. Ce repos donne aux coquillages, que l’on a l’habitude de manger crus, une grande longueur en bouche. » Cette huître a une texture étonnante : ni cuite ni vraiment crue. Et l’ajout du sel, en plus de l’iode, pique presque.

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Foie de lotte et sauce ponzu.

Tous les Français devraient goûter du foie de lotte. La texture grasse et tendre rappelle immédiatement le foie gras, mais avec un goût très poissonneux. La sauce ponzu (sauce soja, sucre, katsuo-bushi et jus d’agrumes) amène sucre et une légère acidité.

Sushi de turbot.

Sushi de turbot.

Mon premier sushi. Je refuse désormais cette appellation à tous les ersatz goûtés précédemment. Le riz, notamment, me surprend : tiède, ferme, un peu sec de prime abord (pour le palais habitué au mauvais sushi de riz compressé). « Le petit turbot a dû reposer un certain temps, explique Chihiro. Cela développe beaucoup son umami, et attendrit la chair ».

Sushi de crevette pivoine.

Sushi de crevette pivoine.

La crevette se mange donc crue. Dommage que les Français ne connaissent pas cette saveur, puissante et aromatique, sans rapport avec celle du crustacé cuit.

Sushi de béryx.

Sushi de béryx.

Celui-ci sort encore une fois de mon système de valeur. « Il a été cuisiné par le temps, décrit mon accompagnatrice. La chair et la peau sont fondantes, et il y a beaucoup d’umami alors qu’à la base le béryx n’a pas beaucoup de goût. »

Sushi de seiche.

Sushi de seiche.

Qu’il est beau ! L’esthétique des précédents sushi ne surprend pas autant. Celui-ci est un bijou, luisant. Sa texture surprend, ferme mais tendre et surtout d’une homogène en tout point de la tranche.

Sushi de sériole.

Sushi de sériole.

Un nouveau sushi-mystère. Il est évidemment différent des précédents. Mais en quoi ?

(À suivre)

Jin
6, rue de la Sourdière
75001 Paris
01 42 61 60 71
Menu sushi (déj. hors week-end) à 65€, menu déjeuner à 95 €, menu dégustation à 145 €

Précédentes aventures avec maître Yoda : Sola, Toyo, Akrame.

Umia : cuisine fusionnelle

Aux oubliettes, l’appellation « cuisine fusion ». « Mariage » est plus joli. Rika et Frédéric Bau sont unis dans le civil comme dans l’assiette. Les plats qu’ils confectionnent pour le restaurant Umia relient – comme une évidence – les cultures françaises et japonaises.

Ils sont nombreux, depuis les années 80, à avoir proclamé l’âge de la « cuisine fusion ». Qu’ils soient vrais amoureux des saveurs asiatiques, amateurs généreux en sauce soja, ou petits escrocs. Cette épidémie s’est un peu calmée. Les vraies réussites ressortent mieux. L’une d’elles est perdue dans les vignes de Tain-l’Hermitage (Drôme). Frédéric et Rika Bau y dirigent le restaurant Umia.

La maison du fondateur de la coopérative Cave de Tain est devenu un restaurant. En été, les collines dégagent cette odeur de pierre chaude particulière à certains vignobles.

La maison du fondateur de la coopérative Cave de Tain est devenu un restaurant. En été, les collines environnantes dégagent cette odeur de pierre chaude particulière à certains vignobles.

Conte de fées

Le pâtissier français, directeur de la création chez Valrhona, a rencontré l’autodidacte japonaise, ils se sont mariés et ont eu beaucoup de jolis plats. Leurs créations ont un goût d’éclat de rire. Ils jonglent – et c’est un jeu – entre produits locaux, et japonais, techniques de là-bas, et d’ici.
Les époux ont imaginés un repas « tout abricot ». Frédéric, faussement sérieux, annonce : « Le but n’était pas de mettre de l’abricot partout. Et finalement c’est ce qu’on a fait ! ».

Tout a commencé avec un shooter, histoire de décomplexer tout le déjeuner : abricot (évidemment), concombre Kyuri, menthe poivrée et Gin Bombay. Cet assemblage donne une impression presque pétillante. L’abricot est peu présent, sous l’amertume du légume, mais donne de l’onctuosité.

Entrée : Tataki de noix de saint-jacques, transparence d'abricot, fenouil et shiso pourpre.

Entrée : Tataki de noix de saint-jacques, transparence d’abricot, fenouil et shiso pourpre.

Le meilleur de ce plat est la noix : le cœur est souple, presque crémeux, et une infime couche externe résiste sous la dent. Abricot et fenouil racontent une jolie histoire, mais ne peuvent se hisser à la même hauteur.

Poisson : Maigre de Corse, sauce vierge aux amandons d'abricots, polenta aux abricots frais.

Poisson : Maigre de Corse, sauce vierge aux amandons d’abricots, polenta aux abricots frais.

Petit arrêt sur assiette. Celle-ci est une belle, une grande, une savoureuse. La sauce vierge, façon Rika, accueille en son sein de l’huile de sésame, des algues, du gingembre… Un accord provenço-japonais qui fait dire « wouah », puis « encore ! ». La peau du poisson est si croustillante que j’aimerais demander du rab’. Et la polenta, bien qu’en pavés, n’a rien de figée. Elle est toute crémeuse, et doucement sucrée. Ce presque-dessert est rééquilibré par le punch de la sauce.

Viande : Magret grillé au feu de bois, sauce miso au fois gras délicatement abricotée.

Viande : Magret grillé au feu de bois, sauce miso au fois gras délicatement abricotée.

La sauce sucrée, mais aussi un peu acide – merci à l’abricot – est évidemment un peu grasse. Elle s’accorde finalement mieux avec la petite poêlée de champignons de la garniture. Le tempura d’abricot est vraiment amusant, bien croustillant, mais très sucré. Il trouverait plus sa place comme amuse-bouche.

Fromage : Brie de Meaux affiné aux pépites de grué de cacao et abricots semi-confits.

Fromage : Brie de Meaux affiné aux pépites de grué de cacao et abricots semi-confits.

Amer, acidulé, sucré, un peu gras ; et puis aussi croquant, moelleux, fondant. Le brie truffé a de la concurrence.

Dessert : Baba pur abricot, crémeux Dulcey, fleurette aux amandes de Provence, caviar d'abricot.

Dessert : Baba pur abricot, crémeux Dulcey, fleurette aux amandes de Provence, caviar d’abricot.

Le Dulcey est un chocolat blanc caramélisé inventé par erreur – dit la légende – par Frédéric Bau. L’abricot, cru et en coulis, apporte l’acidité qui rééquilibre ce sucre très gourmand (presque biscuité). Les babas, dessert fétiche de Frédéric, sont imbibés dans les règles. Et les petits raisins qu’ils recèlent sont également réhydratés de ce jus d’abricot.

Le conte de fées des cuisiniers est aussi celui des convives. Qu’il serait bon de faire une sieste après avoir dégusté cette jolie histoire.

Umia
2, Rue de la Petite Pierrelle
Route de Chantemerle les Blés
26600 Tain-l’Hermitage
04 75 09 19 85

Tarte au citron : le dessert de l’impossible

Parmi toutes les pâtisseries cultes, celle-ci est à part. Elle ne doit pas seulement régaler, surprendre ou réconforter. Pour être réussie, la tarte au citron doit choquer.

Elle est acide et sucrée. La première tarte au citron est inoubliable. Le souvenir de sa forme, son goût, ou sa taille, peut, certes, disparaître. La sensation reste. Cette impossible – devenu vraie – alliance de deux saveurs contradictoires.
Ceux qui ont aimé cette émotion la rechercheront de tartelettes en desserts à l’assiette. Ils deviendront de plus en plus pointilleux. L’acide doit être fort, sans décaper les papilles. Le sucre doit être présent, ni doucereux ni écœurant. La plupart des pâtissiers savent faire une honnête tarte au citron. Très (très-très) peu en font l’égal de mon souvenir.

Voici la dernière qui y parvint. Servie dans le patio de l’hôtel Prince de Galles, elle fut sûrement l’œuvre de Yann Couvreur.

Servie avec un sorbet au basilic (du genre fins et frais cristaux), cette tartelette se suffisait toutefois à elle-même.

Un sorbet au basilic (du genre fins et frais cristaux) fut amené avec cette tartelette, qui se suffisait toutefois à elle-même.

La pâte est déjà une contradiction : résistante mais friable. Sucrée et beurrée, mais légère. Parfaitement lisse mais un chouïa granuleuse. Le miracle que seule permet un dessert monté à la minute. La meringue est double : croquante au-dessus, moelleuse en-dessous. Vous ne la voyez pas, mais une fine couche nuageuse soutient la crème de citron vert acidulée. En couronnement, des touches de confit de citron apportent la puissance.

Un défaut, quand même : ce dessert a éclipsé le repas qui l’a précédé.

 

(Dans le cadre d’un déjeuner de presse.)

Pour déguster les créations de Yann Couvreur, rendez vous au restaurant La Scène ou au bar Les Heures (pour le tea time) de l’hôtel Prince de Galles.
33 Avenue George V
75008 Paris
La Scène : 01 53 23 78 50
Les Heures : 01 53 23 78 52

Partir en Dordogne et atterrir en Argentine

Dictionnaire personnel : Carrnivore (n. masc) : se dit de celui qui se damnerait pour un plat d’origine animale. Le carnivore n’aime pas forcément la viande saignante. Certains préfèrent un rognon moelleux, une épaule d’agneau confite, un sanglier en daube. Ils ne se pâment pas devant un « simple » morceau de bœuf. Ce que j’ai pourtant fait, devant la cuisine périgourdo-argentine d’Alain Gardillou.

Le chef du Moulin du Roc veut faire de son restaurant « la vitrine parfaite de l’art de vivre en Périgord ». La saucisse de cochon « cul-noir » est confectionnée par « l’artisan à qui on achète la poitrine de porc. Il est à 7 km ». Le foie gras vient de la toute proche maison Espinet. La tapenade, où l’olive l’anchois s’expriment à égalité, est faite maison.

saucisse  foie-gras  tapenade

Le menu déjeuner met les produits sur le devant de la scène. Le chef s’efface modestement – il a d’ailleurs inscrit le nom de producteurs sur sa carte.

Notre entrée : escalivade de légumes, fromage frais et sardine grillée.

Notre entrée : escalivade de légumes, fromage frais et sardine grillée.

Certes, la sardine servie en entrée ne vient pas du Périgord. Mais Alain Gardillou est capable de citer le nom du Breton qui l’a pêché – pour un peu il ajouterait son âge et le nombre de ses enfants. Juste grillée, elle manque peut-être d’une crème, un filet de citron, quelque chose qui lui ôterait sa petite aridité. Mais le merveilleux de ce plat est ailleurs (caché par la salade sur la photo): un fromage frais comme Paris n’en connaît pas. Deux cuillerées lactées mais fortes, qui ont un goût de vaches heureuses.

Cet amoureux de son terroir est aussi un fou de l’Argentine. Cinq mois par an, il vit dans ce pays. Il en a ramené l’asado, l’art de la viande grillée. Il l’a transposé au canard du Périgord, au veau limousin, au cochon « cul-noir » (en poitrine saumurée deux jours et confite dans sa graisse) et au bœuf de Coutancie.

Je vais m’arrêter là. (Donc de suite une parenthèse sur le dessert, rafraîchissant mono-produit autour de la fraise, avec une pointe de menthe, association classique. Et mention spéciale aux mignardises, et donc au pâtissier Pierre Gobert).

Revenons à nos bœufs

viandes

L’onglet était parfaitement cuit, et conquérant, dans son rôle de viande rouge. À ses côtés, trône un morceau un peu bizarre, mêlant viande et graisse. Une épiphanie : la chair est rouge, mais bien dense en bouche (pas évanescente, ce que je reproche à d’autres morceaux). Un cuisinier m’a renseigné : « le vacio est la partie qui recouvre le train de côtes, qu’on ne valorise pas en France. La viande n’est pas parée : elle garde sa peau d’une part, son gras de l’autre, ce qui la nourrit durant sa maturation puis sa cuisson. » De la pure poésie.

(Repas offert lors d’un voyage de presse).

Le Moulin du Roc
24530 Champagnac-de-Bélair
05 53 02 86 00
Prix disponibles en ligne

P.S : En bonus

L'asado est servi avec des petits légumes, une sauce chimichuri 'huile aromatisée) et surtout des pommes de terre. Celles-ci sont cuites à la graisse de boeuf, parfois les cuisiniers utilisent de la graisse de canard...

L’asado est servi avec des petits légumes, une sauce chimichuri (huile aromatisée) et surtout des pommes de terre. Celles-ci sont cuites à la graisse de bœuf, parfois les cuisiniers utilisent de la graisse de canard…

Jean-Louis Nomicos, le chef étoilé qui cuisine des repas de famille

Produits simples. Goûts simples. Les repas ainsi conçus sont délicieux, reposants, et rares. Jean-Louis Nomicos m’en a offert un.

lestablettes

Les Tablettes, restaurant de Jean-Louis Nomicos, lors du déjeuner thématique « L’agneau. Si simple si bon ».

Les déjeuners de presse sont une chance. Les jeunes gens de vingt ans ne mangent pas dans des étoilés. Ils ne se payent que le droit de lire les menus. Sauf ceux – comme l’auteur de ses lignes – qui y sont amenés par leur travail. Ces repas professionnels sont un apprentissage. Le palais s’y forme une mémoire. Des goûts et des textures y sont découverts.

Mais les déjeuners de presse sont frustrants. Le chef qui accueille ne cuisine pas comme à son habitude. Il a un grand nombre de convives à satisfaire, un budget restreint et un produit à mettre en valeur. Mais il fait du mieux qu’il peut. Cela suffit à montrer ce qu’est sa cuisine. Et, parfois, à donner très envie de revenir.

Dans les recettes du déjeuner « agneau » du 11 juin, le chef Jean-Louis Nomicos s’est – un peu – décrit. Il a dit qu’il venait du Sud – guère surprenant – et sûrement pas d’un milieu très aisé. Car il cuisine, très bien, des produits simples, au goût de soleil. Il a dit aussi son entourage de bons mangeurs. Je peux me tromper, bien sûr. Mais ses plats avaient le goût-émotion (bien différent du goût réel) des repas de famille.

Tout simplement

Son restaurant, Les Tablettes, est un tunnel dupliqué à l’infini par un miroir. Mais rien de glauque ici : il est chaleureux. Comme tout ce qui suit.

amuse-boucheParmi les amuse-bouches, celui au chèvre frais (puissant sans être désagréable), olive de Kalamata et tomate séchée, était un premier hommage aux bons produits.

Artichauts farcis en barigoule.

Artichauts farcis en barigoule.

Vient ensuite une entrée qui, comme le reste du repas, ne triche pas. L’artichaut qui sert de contenant a un goût… d’artichaut. Idem pour les carottes en garniture. Ils ne sont pas masqués par des épices, ou même du beurre. La farce, elle, est tendre et parfumée. Elle évoque les petits farcis du Sud. Pas ceux des restaurants, toujours un peu guindés, mais ceux qui sont cuisinés pour toute une tablée. Cet agneau est doux, à la bouche et à la mémoire.

Selle et épaule d'agneau en deux cuissons, fine galette de pois chiche, févettes et piquillos.

Selle et épaule d’agneau en deux cuissons, fine galette de pois chiche, févettes et piquillos.

Première impression : ce plat sent bon. D’abord le poivron, et l’huile. Ensuite la viande, légère, qui met littéralement l’eau à la bouche. Là aussi, les légumes se dégustent à nu, dans leur goût d’origine. « Si vous voulez des févettes, vous aurez des févettes », semble dire le cuisinier.
L’agneau se montre sous ses deux visages : celui de viande de luxe et celui de viande de famille. Nous avons la belle pièce servie rosée (la selle), tendre par sa qualité. Et, à côté, la pièce moins onéreuse (l’épaule), tendre par sa cuisson. Elle a été confite dans l’huile de pépins de raisin, à 78°C, pendant sept heures et demie. Effilochée, et reconstituée en tube, elle n’a rien à envier à son un peu prétentieuse de voisine.

Crème vanillée et framboises, croquant à la noisette.

Crème vanillée et framboises, croquant à la noisette.

(Le dessert ? Il était bon, voilà, bon, mais sans folie ni générosité).

Donc, après cela, je ne peux que me demander ce que fait ce chef lorsqu’il a carte blanche.

Les Tablettes
16 Avenue Bugeaud
75116 Paris
01 56 28 16 16
Menus à 42 € et 58 € (au déjeuner), 80 €, 120 € et 145 €

Éric Daubet, du Grand Hôtel Pélisson : toute une histoire

Beaucoup d’humains aiment les contes. Cela vaut aussi pour la nourriture. Le chef Éric Daubert, raconté en quelques phrases et quelques plats, est attachant. Sa cuisine en est d’autant embellie.

Si le chef s’avance et annonce : «  votre sardine a été pêché par Mathias, sur son bateau Atalante », ce poisson sera surement délicieux. Selon Benjamin Enault* « la traçabilité permet de donner un sens, une histoire, au produit et à l’assiette. » Je rajouterais « et plus de goût ».

De même, un repas gagne en profondeur lorsque son créateur nous semble gentil. Marie Mulet a repris le Grand Hôtel Pélisson de Nontron (Dordogne) voici un an. (Ce nom, déjà, parle aux fans de Wes Anderson). Elle a choisi Éric Daubert pour diriger ses cuisines, « parce qu’il rêvait d’y travailler. Quand il était enfant, ses grands-parents l’emmenaient manger au Pélisson ». Parlez-moi de l’amour voué aux aïeux et vous me toucherez, forcément.

Poulpe-beurre, salade de titan et tarte merveilleuse

Les recettes choisies ont achevé cette entreprise de séduction. Le dîner était servi au domaine de Montagenet, hors du cadre d’un restaurant. Le chef s’y montrait, dans ses assiettes, simple et franc.

Une partie du domaine de Montagenet, lieu du repas. Ces 76 hectares appartiennent à José Ferré : un personnage à rencontrer.

Une partie des 76 hectares du domaine de Montagenet, propriété de José Ferré (un personnage, à rencontrer).

Droit au but et dans la cible dés le début : amuse-bouche de poulpe mariné citron/ciboulette. L’animal était tendre – comme du beurre. Le tout était juste un peu iodé, juste un peu acide, et juste un peu gras, grâce à l’huile d’olive.

poulpe« En entrée, nous avions demandé au chef une salade légère », s’est amusée une convive. La dite composition était d’une générosité folle.
J’ai reconnu le homard bleu (annoncé), les agrumes et la mangue (pour le sucre), les oignons pickles (pour l’acide), la nigelle et le radis (pour le croquant), la roquette et la feuille de chêne (pour le végétal), la pomme, la tomate séchée et la – sublime – pistache. J’ai un doute sur la févette, et je trouve l’avocat de trop. Sinon, tout fonctionnait. Cette salade qui se pioche, se compose et se recompose à l’infini est le plat (voire repas!) parfait d’un soir d’été.

salde-homard(Passons sur le plat, un feuilleté – pâte faite maison – de purée de vitelotte, truffe et foie gras. Il était… très bon, car les ingrédients le sont, mais manquait de croustillant).

Le coup d’éclat du repas est cette tarte au citron. Marie Mulet pousse son chef à travailler ses desserts. Elle lui ramène régulièrement des pâtisseries de Paris, signées entre autres Philippe Conticini et Pierre Hermé. Il y a appris l’importance des goûts marqués, presque à l’excès, mais équilibrés. Le fond de spéculoos ne masque ni n’est masqué par une crème extrêmement acide, au yuzu, elle même adoucie par la meringue italienne.

tarte-citron

Le cuisinier s’est complètement effacé derrière les produits qu’il aime. Je ne l’ai pas rencontré mais je l’imagine, dans son métier au moins, aussi modeste que travailleur.

(Repas offert lors d’un voyage de presse).
* directeur associé d’Utopies et intervenant dans les débats de la journée R Durable, le 1er juin.

Et le cookie fut

Une n-ième boutique de cookies a ouvert à Paris. Mais cette adresse est la seule à proposer un gâteau au sésame noir, et l’euphorie contagieuse de Jean Hwang Carrant.

Jean Hwang Carrant fait de la lumière. Elle fait des cookies aussi. Dans son esprit, joie et pâtisserie se confondent. Elle est née au Kansas. Là où « toutes les mamans des copines faisaient des cookies en famille ». Sa mère, taïwanaise, ne s’y est pas mise. Mais la petite fille a été contaminée. Elle a rapporté la recette en France. « La vraie recette américaine, toute simple, celle que l’on trouve partout », assure-t-elle. Mais ses cookies, d’épais palets, promesse d’infini moelleux, sont un peu différents.

Jean s'est adapté aux goûts français : ci-dessus le cookie triple chocolat et fleur de sel (© Hervé Goluza).

Jean s’est adapté aux goûts français : ci-dessus le cookie triple chocolat et fleur de sel (© Hervé Goluza).

Sucrer et sourire

Très factuellement, le responsable peut être la vergeoise. Un sucre cuit plusieurs fois, presque un caramel. Mais, très sûrement, l’ingrédient-clé est le sourire de Jean. Ses gâteaux sont délicieux. Je mords et j’ai cette impression de pâte crue, de sucre qui crisse, de beurre qui fond. Mais je préfère voir Jean illuminer sa boutique. Elle raconte son histoire à tous ses clients. Ses années de mère au foyer, et de cookies aux kermesses de l’école. Ses débuts d’auto-entrepreneuse, et de cookies plus « professionnels » livrés les restaurants du quartier (qui sont encore ses clients). Et le présent, avec cette échoppe qu’elle a rêvé dix ans. « Chaque jour est une aventure, rit-elle. Je suis totalement sous adrénaline ! ».

cookies choc blanc    cookies étalage

À gauche le cookie au chocolat blanc, avec pépites limite fondantes, à réserver aux vrais sucrophiles. (© Hervé Goluza)

Elle présente ses « enfants » à ses clients, insiste sur les ingrédients souvent bio, pointe du doigt la recette de la semaine (Mojo, le cookie mojito, est plein de vrais morceaux de menthe). Finalement, elle conseille finalement le même : celui au sésame noir. Conquis, la majorité ressortent avec lui.

Baguette, la morte-vivante

Les Français n’aiment pas la baguette. Nous adorons nos fromages, nos vins, notre foie gras. Nos pains, aussi. Mais personne ne fait les louanges de la baguette. Tentative d’explication.

Personne ne dit : « Ah, je me ferais bien une baguette ». Aucune femme enceinte n’a d’envie de baguette. Ce pain est pourtant censé être un des emblèmes du pays. Certes, chaque année la « meilleure baguette de Paris » est élue. Alors même que certains boulangers cessent d’en confectionner. De rares militants – guerriers ou huluberlus selon le point de vue – la défendent. Les autres … s’en moquent. Ou disent tout le mal qu’ils en pensent.

Elle peut être belle, pourtant (ici une Rétrodor, baguette de tradition).

Elle peut être belle, pourtant (ici une Rétrodor, baguette de tradition).

La première raison est son goût. Des milliers (millions?) de baguettes sont confectionnées et mangés (ou pas, le gâchis est immense) chaque jour. La majorité est – désolée – dégueulasse. Statistiquement, ce pain est plus souvent mauvais. Beaucoup de Français le considèrent donc – même inconsciemment – comme mauvais tout court.

Triste quotidien

La baguette est mal levée, mal pétrie, mal cuite. Cela coûte moins cher. Et permet à certaines grandes enseignes ou petits boutiques d’afficher des prix bas, très bas, trop bas. Or la baguette est un produit d’appel, un de ceux qui font entrer – donc dépenser – les clients.

De gauche à droite : pétrissage amélioré (quelques additifs, 12min en 2ème vitesse), intensifié (beaucoup d'additifs dont farine de fèves, 17min en 2ème vitesse) et traditionnel (pas d'additifs, 8min en 1ère vitesse).

De gauche à droite : pétrissage amélioré (quelques additifs, 12min en 2ème vitesse), intensifié (beaucoup d’additifs dont farine de fèves, 17min en 2ème vitesse) et traditionnel (pas d’additifs, 8min en 1ère vitesse).

Le grand problème de la baguette vient de sa grande force : elle est le pain quotidien.

« La banalisation a été fatale a la baguette », explique Steven Kaplan. Cet universitaire américain spécialiste du pain dénonce la volonté de tous, dans les années 70 de de « prouver que la baguette est un produit ordinaire, sans importance particulière ». La raison est financière : le pain devenu quotidien est moins taxé que le pain comme plaisir.

Le quotidien a une seconde conséquence. Elle est plus sournoise. Je crois que nous ne pouvons pas aimer ce que nous mangeons sans cesse. Elle participe aux déjeuners dominicaux les plus joyeux et aux dîners plombés par les disputes. Elle accompagne les repas en amoureux et les durs lundis matins.

La baguette est de tous les repas. Mais elle n’a aucune particularité, et n’a su s’attacher aucun souvenir mémorable. Plus nous la mangeons, plus nous la sacrifions.

De la banalité du dîner-spectacle

« Maintenant, les clients vont aussi au restaurant pour l’expérience », affirme un chef doublement étoilé. Il a raison. Et tort aussi : cette tendance n’a rien de récent. Est-elle dangereuse ?

Les restaurants gastronomiques ont toujours « fait le show ». Ils n’ont pas attendu la mode des cuisines ouvertes et de la cuisine moléculaire. Un maître d’hôtel découpe une volaille posée sur un guéridon de bois précieux. La bête est arrosée d’un jus servi en saucière d’argent. Une truffe est émincée par-dessus. Ceci aussi est un spectacle.

Une séparation a toujours existé entre les repas-à-manger (aux tables des manants, celles des bistrots, bouillons et bouchons) et les repas-à-vivre (dans les palais, maisons bourgeoises et grands restaurants). Antonin Carême a inventé le croquembouche au 18è siècle dans le seul but d’impressionner les convives.

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Pièces montées imaginées par Antonin Carême (incluant également des sculptures en pâte d’amande).

 

La limite

Le repas-expérience n’est ni une bonne ni une mauvaise chose. Tout dépend du type de moment que chacun souhaite vivre. Il commence à poser question lorsque le spectacle s’éloigne du monde de la cuisine. Le cuisinier nu sous son tablier, je le trouve inintéressant.

Les problèmes commencent lorsque le repas passe après l’expérience. Quand les journalistes – ou blogueurs – vont au bistrot-en-vogue pour … y être allé. Et non pour manger. Quand les blogueurs – ou journalistes – testent (quel mot horrible) la recette-à-ne-pas-manquer parce que … ils ne doivent pas la manquer. Et non parce qu’elle est bonne.

Alarmons-nous quand le fait de manger devient plus important que le goût.