Takuya Watanabe confectionne ses sushi, un-à-un. Il les dispose sur le petit plateau, devant moi, assise au bar du restaurant Jin (Paris Ier). Au fil du dîner, le rituel devient familier. Mais chaque pièce est un mystère.
Une unique lamelle de poisson est posée sur chaque boulette de riz. Celle-ci a la forme idéale pour être saisie entre deux baguettes – ou doigts – et engloutie en une fois. Ce qui signifie que vous avez une possibilité, une seule, de l’apprécier. Mais le sens de mise en bouche, la partie que la langue touche en premier, la façon de mordre et mâcher : chaque détail influe le ressenti final.
Moi, j’ai toujours peur d’avoir « mal » mangé mon sushi !
Suite du défilé
(Première partie ICI).
Désormais le riz a une couleur rosée : il est assaisonné de vinaigre rouge. Son goût est plus puissant, en accord avec les poissons qui le couronnent.
Chihiro-san m’explique que ce thon d’Espagne, mariné dans la sauce soja, a des « grains plus fins, une chair plus fine ». Seule, j’aurais seulement surtout remarquée son aspect moiré, comme un cuir vieilli mais régulièrement ciré.
Sushi de thon (photo disparue dans ma gloutonnerie).
Cette lamelle est entre le chû-toro (thon mi-gras) et le thon normal. Bien que le poisson ne soit pas relevé de sauce soja, comme le précédent, et qu’il soit moins gras, il a, en lui-même, plus de goût.
Je remarque seulement que nous avons changé de registre de « puissance ». Les poissons blancs étaient discrets, comme des japonaises en kimono, avançant à petits pas. Celui-ci est une femme exubérante qui n’a pas peur de dire les choses.
Carnet de notes vide. Pénurie de mots pour parler de ce poisson. Il m’a semblé avoir moins de caractère que ses comparses « à riz rose ».
Il donne une sensation de gras, une mâche plus proche de celle du beurre, à la limite de l’agréable… mais la bonne limite, celle qui surprend.
Carnet de note vide bis. Rien à voir avec les choses que j’ai déjà acheté dans des barquettes plastiques. La différence est si importante que je ne sais pas à quoi la comparer. Disons que je déguste un grand vin de Bourgogne après une vie à boire de l’eau de javel.
L’accent « fumé » du poisson s’accentue petit-à-petit, finissant par masquer le goût marin. Je finis par lui trouver un goût de jambon de la Forêt-Noire.
Le riz semble un peu plus chaud que d’habitude, et le thon est glacé (pour éviter qu’il ne fonde tant il est gras!). Le contraste de température me surprend tant que je n’ai pas le temps de m’intéresser au goût…
Une omelette dense mais mousseuse, au goût de crevette sucrée. Ils sont fous, ces Japonais. Cette bouchée le donne envie de rire – ce genre de réaction me prend quand arrive une bonne surprise.
*Bonus* Non prévu au menu, ce poisson sera en fait servi le lendemain. Il a donc moins reposé que prévu, ce qui lui donne plus de mâche.
Une soupe très ronde en bouche, gentiment sucrée et surtout très jolie. Un nuage trouble le liquide transparent comme de l’eau : aussi fascinant à observer que la fumée d’une cigarette.
Ceci est moins un dessert qu’une fin de repas, pour se rafraîchir le palais, comme avec un thé. Il clôt le dîner avec de l’acidité, un peu de sucre et de crémeux, et un goût torréfié très agréable. Dommage que les fraises n’aient pas été meilleures. Un jour, quelqu’un devra écrire sur la grande histoire d’amour entre Japonais et fraises.
Impossible pour une novice de tout comprendre, tout saisir, de ce repas du bout du monde. Ce qui n’a rien de grave. La vraie question est toujours : « As-tu aimé ? ». La réponse est : « Oui. ». (Voire : « Encore ! ».)
Jin
6, rue de la Sourdière
75001 Paris
01 42 61 60 71
Menu sushi (déj. hors week-end) à 65€, menu déjeuner à 95 €, menu dégustation à 145 €